HISTOIRE RAPIDE DE LA COMPAGNIE

 

Ce site est dédié à la Compagnie des Messageries maritimes, cette grande entreprise française qui a permis pendant des décennies à des milliers d'hommes et de femmes de rejoindre les Colonies... A une époque où Colonie s'écrivait avec un grand C, et où il fallait parfois plus d'un mois pour aller de Marseille à Saïgon où en Australie.

Des origines à 1870 - L'Expansion

C'est à Marseille , le grand port de la Méditerranée que tout a commencé en 1851. Un petit armateur Marseille, Albert Rostand, proposa à Ernest Simons, directeur d'une compagnie de messageries terrestres, les Messageries Nationales, de s'associer pour créer une compagnie maritime de Messageries, qui prit le nom de Messageries Nationales, puis Messageries Impériales, pour devenir en 1871 la Compagnie des Messageries Maritimes. Dès le départ la nouvelle compagnie va cumuler deux rôles et deux fonctions parfois difficilement conciliables: transporter, avec un bénéfice commercial, des passagers et du fret, mais aussi assurer avec une régularité imposée par une convention avec l'Etat, le transport du courrier et des messageries, la contrepartie étant une subvention annuelle. Deux ingénieurs, Dupuy de Lôme et Armand Behic s'associèrent au projet, encourageant notamment le rachat des chantiers navals de La Ciotat en 1849. C'est dans ces chantiers que la Compagnie a fait construire la majorité de ses navires. La Compagnie assurait donc deux sortes de lignes: des lignes purement commerciales, indépendantes de l'Etat, et des lignes postales, subventionnées.

Au départ, les navires partaient encore du Vieux Port, mais très rapidement l'engorgement de celui-ci entraîne le percement du nouveau port de La Joliette, opérationnel dès juin 1854. Au fond du port, la traverse ouest est dévolue aux navires des Messageries (tandis que ceux de la CGT abordent la digue du large et que le quai Nord est occupé par les navires des Compagnies Fraissinet et SGTM). Jusqu'à la veille de la première guerre mondiale, c'est de là que partiront donc les lignes marseillaises: Italie et Levant d'abord, puis au fur et à mesure de l'extension de la compagnie, de nouvelles destinations verront jour: Algérie en 1854, mer Noire en 1855 après la guerre de Crimée. En 1860, la Compagnie décroche la concession de la ligne d'Indochine jusqu'à Shangai, avec transbordement entre Alexandrie et Suez, inaugurée en octobre 1862. En 1869, avec l'ouverture du canal de Suez, les navires effectueront enfin un trajet sans transbordement, de Marseille jusqu'à Shangai, puis Yokohama. En 1864, une escale à Aden avec transbordement permet la mise en place d'une desserte régulière des Mascareignes (Réunion et Maurice). Après 1882, les navires de la ligne d'Australie assureront une liaison directe, remplacée dès 1888 par une ligne indépendante Marseille-La Réunion, via Maurice et les Seychelles, puis après 1895 Mombasa et Madagascar. La ligne d'Australie, créée en 1882, toujours au départ de Marseille va permettre surtout de s'affranchir des compagnies anglaises pour ravitailler la prospère colonie de Nouvelle Calédonie, assurant au passage le transport d'émigrants vers le continent océanien.

En 1860, la compagnie des Messageries Maritimes, qui avait abandonné son projet de ligne vers les Etats-unis, décide de mettre en place une ligne postale régulière vers l'Amérique du Sud. Partant de Bordeaux, les navires iront dans un premier temps jusqu'à Rio de Janeiro, en passant par Lisbonne et le Sénégal. C'est pour les besoins de cette ligne que, la rade de Gorée étant jugée dangereuse, la compagnie fondera sur le continent une toute nouvelle ville pour servir d'escale et de dépôt de charbon. Le village de pêcheur choisi comme emplacement s'appelle... Dakar !!! Cette ligne fonctionnera sans interruption jusqu'en 1912, avec une extension des voyages directs jusqu'à Buenos Ayres. Après un interruption de 1912 à 1962 les MM reviendront sur la ligne d'Amérique du Sud, mais Bordeaux ne sera plus alors qu'une simple escale, la tête de ligne étant transférée à Hambourg.

De 1871 à 1918- L'Âge d'Or

1870 marque la première grande modification de la politique de la Compagnie. Quelques lignes peu rentables sont abandonnées: Marseille-Italie en 1865, face à la concurrence du Chemin de fer, Marseille-Algérie en 1870, l'Etat se montrant trop gourmand dans sa nouvelle proposition de Convention (qui sera quand même reprise avec un certain succès par la CGT) .

Parallèlement à ses grandes lignes intercontinentales, le réseau des MM s'étoffe progressivement par des lignes "moyen courrier" permettant de joindre des ports un peu excentrés par rapport aux lignes principales. Certaines ne sont pas subventionnées et n'assurent qu'un service commercial. C'est le cas en 1871 de la ligne Marseille-Londres avec correspondance avec le Levant, qui deviendra en 1889 Londres-Sébastopol, Marseille n'étant plus qu'une escale intermédiaire. En Extrême Orient, des lignes stationnaires sont créées pour tenir compte de la nouvelle donne coloniale: En 1882 Saigon-Haiphong via Tourane (Da-Nang), Saigon-Singapour via le bagne de Poulo-Condore et Saigon-Batavia (Djakarta), en 1885 Saigon-Manille. Au départ de Colombo, une ligne annexe permettait également de rejoindre Pondichery et Madras. Sur la côte Orientale de l'Afrique, la conquête de Madagascar, outre l'augmentation des rotations sur la ligne principale, entraîne la création d'une ligne stationnaire faisant le tour de la grande île dès 1895. En 1886 est créée une ligne Sydney-Nouméa, plus tard prolongée jusqu'aux Nouvelles Hébrides.

Toutes ces lignes entraînent bien sûr la construction de nombreux navires neufs. Si la plupart prennent naissance à La Ciotat, les chantiers ne peuvent à certaines époques suivent le rythme imposé par la direction de la compagnie et d'autres chantiers sont sollicités, notamment ceux de la Seyne sur mer et de Port de Bouc, près de Marseille, mais aussi des chantiers du nord de la France, ou même d'Angleterre.

La fin du siècle marque la fin de cette grande période d'expansion. Il n'y a plus de création de grande ligne intercontinentales, les lignes annexes sont modifiées en fonction des besoins, et les anciens navires réutilisés sur des lignes moins prestigieuses. De 1904 à 1912, un seul navire (le SONTAY) est lancé aux Chantiers de la Ciotat, tandis que la Compagnie achetait un certain nombre de cargos et de navires mixtes à diverses compagnies plus ou moins en faillite, pour étoffer sa flotte commerciale (3 à la Pan Hellenic C°, 3 à la P&O, 4 à la cie Est Asiatique Français, 3 à la Compagnie Nationale de Navigation plus quelques autres à diverses compagnies)

1912 marque un tournant dans la politique des Messageries, qui vont résolument se tourner vers une rentabilisation du fret et des passagers, au détriment sans doute de la vitesse et de la régularité du transport du courrier: abandon de la ligne d'Amérique du Sud, considérée (sans doute à raison quand on voit les déboires de son successeur la compagnie Sud Atlantique) comme non rentable, construction de nouveaux navires ou modification des anciens, sacrifiant la vitesse à une plus grande capacité de fret et à un meilleur confort pour les passagers. Malheureusement, de ce programme, seuls le PAUL LECAT lancé en 1912, le LOTUS et le KARNAK, modifiés la même année, n'auront le temps de montrer l'intérêt indéniable. Tous les autres navires du programme (ANDRE LEBON, SPHINX, ATHOS, PORTHOS, ANGKOR) ne seront terminés qu'après la déclaration de guerre et, pour les survivants, ne pourront reprendre un service commercial normal avant le début des années 20, où ils ne seront plus alors des navires neufs et à la pointe du progrès technique...

De 1919 à 1945- Réparations et chute

La guerre va entraîner de profondes mutations dans la compagnie, tout comme dans le reste de la société. Les navires de 1914, dont près du tiers (25 navires) ont été détruits pendant la guerre, sont usés et fatigués. Certains peuvent être reconditionnés, mais ils ne retrouveront pas leur luxe d'antan. La Compagnie doit donc faire avec les navires allemands remis comme dommage de guerre, eux aussi bien usés ou détériorés par de longues périodes d'inutilisation ou d'entretien insuffisant. Très peu d'entre eux d'ailleurs resteront en service jusqu'au début de la 2ème guerre mondiale.

Sur le plan juridique, la Société est alors scindée en 1921 en deux grande entités administratives: Les "Services contractuels des Messageries Maritimes", qui doit assurer les lignes postales et reçoit donc une subvention de l'Etat pour ce service public, et la "Compagnie des Messageries Maritimes", compagnie de navigation de droit commun, qui assure des lignes uniquement commerciales, sans obligation de desserte régulière ni de devoirs particuliers vis à vis de l'Etat.

Un nouvel et ambitieux programme de construction est alors lancé, sous l'impulsion du président Georges Philippar. Après le couac des achats "forcés" de trois navires commandés en surnombre et rachetés à l'Etat (CHANTILLY, COMPIEGNE et FONTAINEBLEAU, peu adaptés aux lignes habituelles des MM) une nouvelle et belle série de paquebots luxueux est construite, en grande partie sur les chantiers de La Ciotat entre 1925 et 1935. Six d'entre eux (D'ARTAGNAN, ATHOS II, CHENONCEAUX, LECONTE DE LISLE, EXPLORATEUR GRANDIDIER, BERNARDIN DE SAINT PIERRE) sont des navires de conception classique, à deux cheminées, propulsion à vapeur, modernisés pour la chauffe au mazout, et fortement inspirés dans leur conception par le PAUL LECAT, prototype de tous. Deux autres, plus originaux, arborent les trois cheminées synonymes à cette époque de prestige et de rapidité (même s'ils n'étaient en fait pas plus rapides que les précédents). Il s'agit du CHAMPOLLION et du MARIETTE PACHA, dont le succès sera constant sur la ligne rapide de Marseille à Alexandrie. Avec le THEOPHILE GAUTIER en 1927, la compagnie introduit un concept totalement nouveau, celui de la propulsion par moteur à explosion, en l'occurence deux moteurs Sultzer deux temps. Il sera suivi, après l'expérience esthétique discutable de l'ERIDAN (II), par toute la série des "nautonaphtes", ces superbes paquebots de luxe à moteur diesel caractérisés par leurs cheminées carrées en forme de champignon: FELIX ROUSSEL, GEORGES PHILIPPAR, ARAMIS, JEAN LABORDE (I), MARECHAL JOFFRE, puis, revenant à une forme plus classique de cheminée PRESIDENT DOUMER et LA MARSEILLAISE (qui ne sera terminée qu'en 1949)

Les lignes établies à la fin du siècle précédent sont peu modifiées pendant cette période d'entre-deux-guerres. Seule la ligne du Pacifique va à partir de 1923 changer de sens et, toujours à partir de Marseille, desservir les Antilles, Tahiti par le canal de Panama et la Nouvelle Calédonie, tandis que l'ancienne ligne par Suez deviendra rapidement obsolète.

La crise économique mondiale porte un coup d'arrêt au programme de construction des MM. Entre le lancement du PRESIDENT DOUMER en juin 1933 (terminé en 1935) et la mise sur cale du MARECHAL PETAIN (futur MARSEILLAISE) en décembre 1940, aucune construction nouvelle ne sera entreprise pour la compagnie, qui se contentera d'acheter selon ses besoins (ou parfois sous la pression de l'Etat) des navires de petit tonnage destinés à des lignes annexes ou des utilisations particulières.

De 1946 à 1977 - Derniers feux

A nouveau, la guerre va porter un coup fatal à la flotte. De nombreux navires sont coulés en mer, d'autres sabordés en 1944 par les allemands pour boucher les passes à l'entrée des ports. Quelques uns, plus chanceux, sont réquisitionnés par les alliés et participent à la Guerre comme transports de troupes ou de fret. Fin 1944, la Compagnie n'a plus en France Métropolitaine un seul navire en état de naviguer. La moitié de la Flotte a été coulée. Les survivants sont éparpillés sur toutes les mers du globe, souvent sous pavillon étranger pour continuer la lutte contre l'ennemi japonais.

Les transports reprennent très doucement au cours de l'année 1945, puis 1946, sur des navires usés, encore transformés en transports de troupes, et dont l'utilisation principale est le rapatriement des réfugiés et exilés, ou le transport de troupes vers un nouveau théâtre d'opérations: l'Indochine. Il faut attendre 1947 et l'arrivée des premiers des 19 liberty ships livrés par les USA dans le cadre du plan Marshall pour qu'un véritable réseau de transport de fret se remette en place. Pour les passagers, ce sera un peu plus lent. La compagnie lance un programme de construction de grands paquebots mixtes, baptisés type MC pour l'Extrême Orient, MD pour l'Océan Indien et ME pour le Pacifique. Le premier d'entre eux, le ME CALEDONIEN sera livré en octobre 1952, le denier, le MC LAOS en juillet 1954 seulement. En attendant, les lignes sont assurées par les paquebots ayant survécu à la guerre et parfois refondus (CHAMPOLLION, ERIDAN, MARECHAL JOFFRE, FELIX ROUSSEL,LECONTE DE LISLE, ATHOS II). Ils ne suffisent néanmoins pas à assurer un service régulier et la compagnie est obligée d'acheter d'occasion ou d'affrêter de manière régulière des navires pour assurer la régularité des rotations. En Méditerranée, ce seront les petits paquebots GASCOGNE et ANNE DE BRETAGNE , sur l'Océan Indien le KATOOMBA ou le AL SUDAN, en Indochine les SKAUGUM et SKAUBRYN, sur le Pacifique les CHANG CHOW et CHUNG KING, suivis plus tard par les MELANESIEN et OCEANIEN.

Dans le milieu des années 50, la Compagnie (finalement nationalisée en 1948) arrive peu à peu à retrouver un équilibre. L'exploitation des "Mixtes" est rentable, et les liberty-ships se révèlent à l'usage économiques et robustes, permettant de temporiser pour le renouvellement de la flotte de charge, qui ne recommence réellement qu'en 1955, avec le lancement du GODAVERY, prototype de la série dite des 8300 tonnes. Il sera suivi de 9 autres identiques, puis à partir de 1958 c'est le MAORI qui va étrenner la série des 9300 tonnes, variation modernisée et de plus fort tonnage de la série précédente. Il en sera construits 13, dont les trois derniers, type VAR, un peu différents des précédents. Les 5 derniers seront "jumboïsés" (rallongés de 18 m) en 1972, en vue semble-t-il de leur aménagement ultérieur en transport de conteneurs. Au début des années 60, la compagnie fait encore l'achat de trois grands paquebots à la Cie Sud Atlantique et aux Chargeur réunis pour assurer la ligne du Pacifique Sud, qu'elle reprend à partir de janvier 1962 entre Hambourg et Buenos Ayres, avec escales en France, au Portugal et au Brésil. Il s'agit des CHARLES TELLIER, LAENNEC et LOUIS LUMIERE. Un quatrième paquebot, le PASTEUR, sera construit spécialement pour cette ligne qu'il assurera à partir de la fin de 1966. Malheureusement, l'explosion du transport aérien aura rapidement raison des lignes de transport de passagers sur de longues distances. Il ne se passera que 14 ans entre le premier vol transatlantique commercial d'un Boeing 707 en 1958 et la dernière arrivée d'un paquebot des MM (le PASTEUR) à Hambourg le 16 septembre 1972..

La dernière décennie des MM est un peu celle des expériences: premier pétrolier, le CENTAURE, en 1960, échec commercial mais préparation aux futures LICORNE, premiers navires automatisés (OYONNAX, AQUILON), premier porte conteneur, le KANGOUROU, échec relatif à cause d'un défaut de conception engendrant d'intenses vibrations, mais qui permettra en 1972 la mise en service du superbe KORRIGAN, premier gazier, le MARIOTTE, lui aussi échec relatif, mais qui permettra à son successeur, le TELLIER d'être encore le dernier navire des MM en activité en 2011. En 1973, alors que les tractations qui décideront de la fusion définitive des MM et de la CGT dans la nouvelle Compagnie Générale Maritime vont bon train, un programme de RoRo est mis en route, dont certains sont commandés par les Messageries Maritimes. Il s'agit des ROSTAND, RODIN et ROUSSEAU, lancés en 1976. Ils ne navigueront pourtant jamais sous le pavillon à la Licorne, étant directement pris en charge sous les couleurs de la CGM, la Compagnie des Messageries Maritimes ayant fini d'exister le 23 février 1977...

 

 

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©Philippe RAMONA 20 mai 2011