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D'après le commandant Claude PETRELLUZZI
L'Athos II en escale à Fort de France et Pointe à Pitre ? Allons donc, cela ne se peut pas, d'ailleurs, ce n'est mentionné nulle part, ni par le Cdt. Lanfant, ni par le Dr. Bois, ni par Philippe Ramona.
Et pourtant ! Arrivé à New York le 17 janvier 1946, en provenance du Havre, il en repartira le 17 juillet à destination de Marseille, via Fort de France, Pointe à Pitre, et St. Thomas. Mais avant de parler de ce voyage qui le rendra à la vie " civile " après 4 années passées à transporter des troupes aux 4 coins du Monde sous l'égide des Américains, rappelons les circonstances dans lesquelles ce navire est arrivé à N. Y. le 17 Janvier 1946 C'est un navire fatigué, fracassé même, qui rentre à N. Y. ce jour là. Parti du Havre le 14 décembre 1945, il fait une courte escale à Southampton le 15 pour embarquer un complément de passagers. Au départ de ce port ce sont environ 3000 militaires US(dont 212 WACS) qui ont hâte de rentrer chez eux via N. Y. où ils doivent en principe arriver vers le28 décembre, si tout va bien. Ce Noël en mer en perspective, devrait être le plus beau Noël après plus de 2 ans d'absence. Le Cdt Brachet, confiant en son navire, n'hésite pas à prendre la route orthodromique. Les météos sont imprécises alors, mais il peut s'attendre, à cette époque de l'année, à rencontrer du mauvais temps. Qu'à cela ne tienne, le navire est costaud et il en a vu d'autres. Dès la sortie de la Manche, la houle de SW se fait sentir. Une première dépression, le 18, pas trop sévère, met déjà le navire dans une ambiance peu rassurante quant à la suite de la traversée. Très vite cela se corse, et le 20, une houle traversière provoque un roulis de 40°, avec une période de 16 secondes, pas très agréable.. |
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Les WACS s'apprêtent à embarquer sur l'Athos II à Southampton le 15 décembre 1945 |
Le pire commence le 21, avec une nouvelle dépression "strong " celle-la: baromètre à 715m/m en chute rapide et une houle de 18 mètres de creux, difficilement supportable. La mise à la cape bâbord. amure est décidée. Malgré cela le roulis persiste, assez fort, et provoque le désamorçage fréquent des pompes d'aspiration des condenseurs (crépines des prises hors de l'eau). Pour couronner le tout, suite à un court-circuit du rhéostat, la pompe du condenseur de la turbine bâbord. tombe en avarie et la machine bâbord doit être stoppée. Déséquilibré, le navire ne peut plus tenir la cape avec la seule machine tribord et tombe en travers. Dès lors, ce fut effroyable, le roulis avoisine les 55°, et cela va durer une douzaine d'heures, le temps de réparer, avec les moyens du bord. Je ne détaillerai pas le désastreux bilan des avaries " encaissées " par ce valeureux navire ( 12 canots de sauvetage sur 18 fracassés ou emportés, coupées arrachées, hublots explosés, mobiliers dessaisis enfonçant les cloisons, couchettes descellées, eau dégoulinant de partout etc...) ni la pagaille parmi les passagers et passagères, plus de 3000 personnes ballottés d'un bord à l'autre, en proie au mal de mer, réduits à une nourriture de fortune, souvent trempés…et la peur ! |
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Les bossoirs écrasés
après la tempête |
Toujours est-il que le navire a tenu bon et, une fois les réparations terminées il reprend sa route, mais reçoit l'ordre de se rendre aux Açores. Il arrive à Horta le 25 décembre après midi " drôle de Noël amer " écrit le Cdt. Baugé (alors Lieutenant) dans un article paru dans le n°22 du courrier de la CGM. Il n'est pas au bout de ses peines pour autant, car le mauvais temps empêche le débarquement des passagers, Il y reste jusqu'au 4 janvier, allant de mouillage en mouillage.Le 5 janvier il est à Punta Delgada où le Porte avion " Enterprise " s'est lui aussi réfugié. Le transbordement peut enfin s'effectuer d'un bateau à l'autre. Parti de Punta Delgada le 8 janvier, l'Athos II arrivera à New York le 17 janvier 1946 pour y effectuer de longues réparations, décidées après de longues et interminables expertises ainsi que d'importantes modifications des aménagements qui débuteront le 21 Mars. Officiellement le navire sera redélivré aux Autorités Françaises le 23 Mars à 12h00. |
Lors du passage en cale sèche…Horreur ! on s'apercevra que le gouvernail en avait pris un sérieux coup : le talon de quille s'était rompu et avait disparu. Le gouvernail ne reposait plus dans sa mortaise et n'était plus soutenu que par la collerette qui entourait la mèche, celle-ci d'ailleurs s'étant tordue d'une dizaine de degrés sur tribord . On s'était bien rendu compte d'une certaine difficulté à gouverner mais on était loin d'imaginer la cause réelle de cette mauvaise " gouverne " que l'on attribuait au mauvais temps. Rétrospectivement, tous les témoins de ce constat réalisèrent que l'ATHOS II avait frôlé la catastrophe (encore la bonne étoile du marin et sans doute la " Bonne Mère " qui veillait…) mais il faut reconnaître qu'on savait construire des navires " costauds " en 1926 ! Pour la petite histoire, j'ai lu un article qui relate l'aventure d'un liberty-ship US, le " John B. Hood " qui se déroule presque en même temps que celle de l'Athos : parti de Marseille le 23 décembre 1945, à destination d'Hampton Road, pour rapatrier des militaires, je cite " Most of her passengers were Negro members of the 3225th and 4203d Quartermaster Service Compagnies ". Ce navire eut la malencontreuse idée, à l'aube du 1er Janvier 1946, alors qu'il se trouvait à environ 300 milles dans le SW des Açores, de " perdre son hélice "(rien que ça !. . ) - Fort heureusement, il put être remorqué jusqu'à Punta Delgada où ses passagers furent également transférés sur l' " Enterprise ". Toujours pour la petite histoire et selon cet article, l' " Enterprise " arriva à New York le 22 janvier (sic) avec tout son lot de militaires (dont les 212 WACS ) qui doivent encore se rappeler de leur mésaventure, s'ils sont encore en vie… . |
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L'Athos II en cale sèche, gouvernail tordu |
L'USAT ATHOS
II dans son état de la fin 1945
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Journal humoristique édité
au cours du terrible voyage de décembre 1945-janvier 1946
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Mais, revenons à notre Athos II à N. Y. Affrété par la Direction des Transports Maritimes, il rentrera à Marseille via Fort de France, Pointe à Pitre et St. Thomas. Départ de New York le 17 juillet 1946, toujours sous les ordres du Cdt. Brachet, (Sd. Capitaine F. Ménes). L'Athos II appareille de New-York le 17 juillet 1946 à 18h12, après une longue escale de 6 mois où il a pu panser ses nombreuses " blessures " de la dernière traversée et procéder à d'importante modifications dans les aménagements pour reprendre son service " civil "- La DTM, son affréteur, profite de ce retour vers Marseille pour lui faire faire un " crochet " vers les Antilles Françaises pour rapatrier vers la Métropole de nombreux fonctionnaires civils et militaires restés" bloqués " dans ces îles pendant toute la durée de la guerre, avec leurs familles, et également quelques " autochtones " fortunés avides de renouer les liens familiaux ou commerciaux d'avant guerre. Le navire quittera N. Y. avec un important chargement pour les îles et pour Marseille : pour les îles : 746 T.
d'engrais Arrivé à Fort de France le 23 juillet à 09h18 Là, les difficultés (d'ordre commercial) commencent: le navire opère sur rade dans des chalands. D'abord 2 jours de perdus pour cause de grève des dockers (déjà). Les rendements sont quand même jugés "passables" Ensuite l'embarquement des passagers et surtout la répartition de ceux-ci dans les différentes classes posent problèmes. C'est d'abord une grosse difficulté, voire l'impossibilité d'avoir, avant l'embarquement, une feuille de couchettes et même un nombre exact de passagers. Par suite du mauvais classement des passagers dû à la grande confusion qui règne dans le service " Passages " de l'Agence de la Cie Gale Transatlantique à Fort de France, et le manque total de coordination entre cette dernière et le Gouvernement de l'île, cet embarquement s'effectue dans le plus grand désordre. Nombreux changements dans la répartition des couchettes ont dû être effectués à mesure que les gens montaient à bord (arrivés par barcasses le plus souvent)-de plus, au lieu des 50 kgs de bagages " accompagnés " autorisés, c'était 2 ou 3 fois plus qu'il fallait caser là ou on pouvait -Si, dans l'ensemble, les passagers bénéficiaires d'une 1ère classe, étaient très satisfaits, il n'en n'était pas de même pour ceux qui, porteurs d'un billet de 1ère classe, ont dû être déclassés (sur décision des Autorités Coloniales). Tant bien que mal, 1252 passagers sont embarqués à Fort de France, ce qui a nécessité l'engagement d'un Médecin civil de Fort de France pour se conformer à la législation en vigueur (2 médecins au delà de 1000 personnes à bord). Comme il est nommément désigné dans le rapport du Commandant, je le cite bien volontiers, car j'ai découvert ainsi qu'il s'agissait du Dr. Georges Porry qui n'était autre que mon oncle par alliance et cela m'a fait " tilt " car, bien longtemps après, quand je fus rentré à la Compagnie, il m'en avait parlé, mais ma petite cervelle n'avait pas retenu cet épisode… L'Athos II appareille de Fort de France le 30 juillet aux environs de minuit… C'est maintenant Pointe à Pitre où il arrive le lendemain dans la matinée. Il faut dire que, déjà depuis New York, l'entrée dans la rade de Pointe à Pitre, posait au Cdt. Brachet un sérieux problème technique, et un cas de conscience : devait-il, oui ou non, avec un si gros navire et un tel tirant d'eau (7m50) pénétrer dans cette rade (communément désignée sur les cartes marines " Grand Cul de Sac Marin " ou rester au mouillage extérieur, au voisinage de la bouée du " Mouchoir Carré " ce qui, vu la distance de ce mouillage au quai de déchargement, entraînerait d'énormes difficultés dans le déroulement des opérations commerciales (peu de chalands, long trajet pour acheminer les passagers, clapot assez important dans la journée, car ce mouillage est ouvert aux alizés ). Quel dilemme pour ce Commandant qui en a pourtant vu d'autres, comme il disait, je le cite "sur la foi des cartes US ou des IN/GB, les seules que nous possédons, et les renseignements pris à NY au près des Capitaines de la CGT, j'ai longtemps hésité à entrer avec l'Athos dans ce port. Je m'y suis décidé après avoir reçu un rapport du Capitaine de Port, Mr. Rozier, et après avoir étudié la carte française 2872 édition 1939 trouvée à Fort de France qui porte les derniers dragages effectués dans la passe, dans l'Est de l'alignement bouée 2 / bouée 4 qui donnent plus de marge aux navires, l'arrière restant toujours dans les fonds supérieurs à 10m au moment où l'on tourne autour de la bouée n° 1 " Plus tard, il écrira encore : " l'Athos II est le plus grand navire qui soit jamais entré à Pointe à Pitre (entrée = 7m50 - sortie = 7m65 ) et je crois que dans l'état actuel des travaux, il ne serait pas prudent de dépasser cette longueur… Quant aux tirants d'eau, je crois qu'on peut aller jusqu'à 8m -des personnes dignes de foi m'ont d'ailleurs affirmé que des " Liberty " ont appareillé de ce port avec 28 pieds de tirant d'eau - mais les manœuvres doivent se faire à 06h du matin ou à 06h du soir, lorsque la brise est complètement tombée " (j'ouvre une parenthèse pour faire remarquer que l'Athos II, malgré ses 172 mètres et 7m65 de tirant d'eau fait presque figure de nain à côté des PCRP et surtout des paquebots de croisières de 270m qui fréquentent quotidiennement le port de Pointe à Pitre ce qui donne une idée des travaux gigantesques qu'il a fallu réaliser pour rendre cette rade accessible aux grands navires) Finalement le navire rentre à quai, TPLM à 09h42, sans problème de ce côté là… Là aussi, l'embarquement des passagers n'a pas été sans incidents. Fort de France ayant largement dépassé son quota, il ne restait plus, à Pointe à Pitre, que 42 places en couchettes de1ère et 47 places à la salle à manger des 1ères alors que FdF avait alloué 56 places de 1ère à ce port Le navire étant à quai, donc plus facilement accessible pour tous, ce fût un défilé de protestation aux bureaux du Commandant et du Commissaire -là encore je cite le Cdt : "notre Agent, Monsieur Pétrelluzzi, a été obligé de convoquer à bord, Monsieur Poli, Procureur Général et Chef de la Commission des Passagers de la Guadeloupe, et nous nous sommes livrés, au pied levé, à un reclassement des passagers de 1ère classe - 9 personnes ont été déclassées et 5 logées dans les faux ponts, avec accès à la salle à manger des 1ères, d'où protestations véhémentes de la part des intéressés qui ne manquaient pas de faire valoir leurs droits . - De plus ces passagers civils ne se manœuvrent pas aussi facilement que les militaires . J'ai été obligé, à Pointe à Pitre, de faire doubler chaque faux-ponnier de 2 Agents de police pour que les personnes embarquées, surtout les femmes, s'astreignent à adopter la couchette qui leur était allouée". Le Commandant, on le comprend, dans une telle atmosphère, a hâte de quitter ce port, mais, comme il n'est pas question de manœuvrer de nuit, il fixe le départ au lendemain matin, ce qui lui permet, je m'en souviens car j'étais là, d'accepter l'invitation à dîner chez son" Agent " (en fait Consignataire ) dont la traditionnelle hospitalité envers les Etats Majors était réputée. D'ailleurs, à bord, le calme était revenu avec la relative fraîcheur de la nuit et aussi les bistrots et les " bastringues " de la Place de la Victoire toute proche, qui faisaient oublier les tracas et incidents de la journée. Le départ a lieu 06h30 le 1er Août, sortie sans problème, dans un calme absolu, de cette passe si redoutée quelques jours auparavant -destination Saint Thomas ( Iles Vierges) pour y mazouter. Beau temps -on profite de cette courte traversée pour procéder à un premier comptage des passagers, toutes classes confondues, compte tenue des 420 passagers embarqués à Pointe à Pitre -Grosse surprise : 29 clandestins sont découverts et enfermés - c'est qu'à St. Thomas les autorités ne rigolent pas avec ça ! Le navire est mis à quai le 2 Août à 08h00- il est impossible de fournir aux autorités un manifeste (réglementaire) des passagers en transit, celles-ci font preuve de bienveillance, mais le navire est consigné, personne ne descend à terre-le bord en profite pour continuer un filtrage des plus " serrés " parmi les passagers de 4ème classe, qui permet de découvrir 15 clandestins supplémentaires qui sont immédiatement enfermés. A ce sujet, le Commandant écrit : "devant un pareil chiffre, je décide de télégraphier à notre représentant à Pointe à Pitre pour demander au Gouverneur de pouvoir stopper devant Basse Terre pour déposer tout ce monde entre les mains de la gendarmerie " Le navire appareille vers 23h et reprend la direction de la Guadeloupe. Arrivé sur rade de Basse Terre le 3 Août à 18h00 où il stoppe environ une heure pour remettre aux gendarmes qui arrivent avec un chaland … 40 clandestins seulement (4 autres se sont échappés et n'ont pu être retrouvés que le lendemain du départ de Basse Terre) Le voyage vers Marseille s'est déroulé sans trop d'incidents, mais beaucoup de plaintes et de réclamations au bureau du Commandant qui a eu beaucoup de mal à gérer tous les motifs de ces plaintes : passagers déclassés, proximité absolue entre gens de situations et de classes tout à fait opposées, parents âgés séparés de leurs enfants et petits enfants, et déjà, les questions de couleur "toujours très vives dans les Antilles Françaises" Le Commandant signale que la grande quantité de femmes et d'enfants (910) logés dans des emplacements prévus plutôt pour des hommes a donné un travail considérable au Service Médical (2 médecins plus un Médecin passager bénévole ), à titre indicatif, il y eut 3876 consultations, 250 exemptions et 3 décès ( dont 1 immersion). Finalement, l' Athos II arrive à Marseille, son port d'attache, le 16 Août 1946 au matin. Pour beaucoup, l'apparition de la " Bonne Mère " dans le lointain, et des collines de l'Estaque procure une joie contenue mais intense qui ne s'extériorisera que plus tard, dans les bistrots de la Joliette ou les cafés " chics " du Vieux Port. Ainsi se termine deux récits de traversées d'un vieil " Héros " de notre brillante flotte de paquebots qui ont marqué, non seulement l'Histoire de Notre Compagnie, mais aussi " l'Histoire Maritime " de notre pays. La navigation, à cette époque, n'était pas de tout repos, (c'en est la preuve) et je veux, personnellement, à travers ces récits de l'Athos II, rendre un hommage à tous nos anciens qui ont maintenu, par leur courage et leur persévérance, les traditions et les valeurs de cette Compagnie pour que nous puissions, à notre tour, assurer leur relèves . Ce récit est authentique, inspiré directement des rapports du Commandant archivés à la CCIMP à Marseille. Un autre voyage de cet Athos II a été aussi " mouvementé " sinon plus, est celui effectué dans la foulée de ce dernier en Août/Sept. /octobre, de Marseille à New York sous les ordres du Cdt Louis Verlaque, pour y amener les équipages des Liberty Ships cédés au Gouvernement Français qui les a répartis dans les divers Armements Français - mais cela est une autre histoire... rédigé par Claude Pétrelluzzi
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©Claude PETRELLUZZI / Philippe RAMONA 8 août 2008
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