Le long et difficile voyage du SCHLESWIG de Marseille à Haiphong entre août 1920 et février 1921

D'après les recherches du commandant Claude PETRELLUZZI auprès des archives de la CCIMP  

Le contexte de ce voyage est particulier en ce sens qu'il concerne deux des grands problèmes de l'immédiat après-guerre: la livraison par l'Allemagne aux Alliés de paquebots de sa flotte commerciale à titre de dommages de Guerre et le rapatriement des troupes coloniales et des travailleurs indigènes réquisitionnés

L'Allemagne a commencé à livrer dans le courant de 1919, à titres de dommages de guerre un certain nombre de paquebots, restés immobilisés pendant la Guerre dans les ports allemands ou neutres. Le SCHLESWIG, construit en 1902 à Stettin pour la Nord Deutscher Lloyd pour sa ligne d'Alexandrie est livré aux anglais en mars 1919, mais reste désarmé dans la Tyne jusqu'en mars 1920. Attribué à l'Etat français dès octobre 1919, il faut 5 mois pour réunir un équipage suffisant à l'armement du navire. 2 autres paquebots, ex-autrichiens, le SALZBURG et le STYRIA, également attribués aux MM à cette occasion, ne pourront pas être armés faute d'équipage et seront finalement réattribués à la compagnie italienne Llyod Triestino. A la même époque, les GOEBEN et SCHARNHORST, armés par les Messageries pour quelques voyages, seront jugés trop mal adaptés aux lignes coloniales et finalement remis à la CGT.

Le voyage du SCHLESWIG, comme la plupart de ceux effectués vers l'Indochine à cette époque là aura pour principale entreprise de rapatrier dans leur colonie d'origine les survivants des bataillons de Tirailleurs Annamites qui se sont bien battus sur les fronts de l'Est et d'Orient, ainsi que de nombreux travailleurs réquisitionnés pour travailler dans les usines d'armements désertées par les soldats français partis au Front. On peut lire ici le récit encore plus dramatique du voyage aller de certains de ces indigènes, dans des conditions effroyables à bord du PEI HO en 1916

 

Parti de Marseille le samedi 14 août 1920 au soir, à destination de l’Indochine, le paquebot S/S « SCHLESWIG » des Messageries Maritimes ( Cdt  Louis RIGAUD ) ayant à son bord 63 passagers de classe, 120 militaires européens, et 1994 rationnaires (dont 136 malades) annamites, se voit, dès le lendemain après midi , dans l’obligation de relâcher dans le port de Toulon pour cause d’avaries importantes à la machine. Il y reste cinq jours pleins où les ateliers de l’Arsenal s’efforcent de venir à bout de ces avaries, tandis que passagers et équipage sont maintenus à bord. Il finit par quitter Toulon le 20 août à 18h00 et,  tant bien que mal, fait route vers Port Saîd où il arrive le 26 au matin. Le franchissement du Canal s’effectue sans incident majeur et le 28 au soir il entame les traversées du Golfe de Suez et de la Mer Rouge par une chaleur étouffante.

Dès le départ de Suez, le Chef Mécanicien, Jean Bourde, tombe malade et doit garder le lit, devenant inapte à remplir ses fonctions. Il est remplacé par le 1er Second Mécanicien Lucien Carbonnel qui, lui-même, n’est guère plus valide. Il faut dire que ce staff d’ Officiers Mécaniciens,embarqué depuis la mi-novembre 1919 lors de la prise en compte, en Angleterre, de ce navire ex-allemand,  par les Messageries Maritimes, n’a pas cessé, depuis ce jour, d’être mis à rude épreuve par une succession sans fin d’avaries en tous genres (aux 2 pompes d’alimentation Weïs, aux 2 dynamos, aux 2 escarbilleurs etc..) dans des conditions de chaleur extrême dans le compartiment machine (chauffe au charbon). C’est, sans doute d’épuisement que le Chef Mécanicien  se voit contraint de s’aliter et de « passer la main »

Pendant la traversée de la Mer Rouge, les avaries ( ci-dessus ) se multiplient, le navire se traîne littéralement non sans avoir été, à maintes reprises, dans une situation critique (rapport du Cdt). La menace d’avoir à mettre bas les feux en pleine mer si la moindre avarie survenait à nouveau dans l’alimentation, conduit le Commandant, après avoir pris l’avis des principaux de l’équipage, à prendre la décision de relâcher dans le port de Périm, qui, sans déroutement, offre, seul dans ces parages,l’avantage de pouvoir y effectuer des travaux indispensables.


Le 1er Septembre 1920, le Chef Mécanicien Jean Bourde décède, victime, (officiellement ) d’un coup de chaleur. Il est inhumé à Périm, le lendemain 2  septembre, après l’arrivée dans ce port, en même temps que le Sergent annamite Nguyen Van Thu, décédé en mer le 2 septembre à 01h00.
« J’ai quitté Périm, écrit le Commandant, le 3 à 17h30, après avoir mis en état, les escarbilleurs, les Weïs, et une dynamo ….en PS : je vous rends compte par lettre spéciale, du décès de Mr. Bourde »

Le navire fait route vers Djibouti, où il arrive le 3 / 9 à minuit . L’escale dure moins de 48 heures où il y a eu beaucoup à faire dans tous les domaines. Tout d’abord, une première escale (qui aurait dû être la seule) du 4 au 5/9 qui a permis le débarquement de malades ( Second Capitaine - 1er Second Mécanicien (remplaçant du
Chef décédé) -  deuxième Second Mécanicien - 1 soutier
- débarquement de personnel renvoyé : 1 garçon - 5 chauffeurs arabes
- le remplacement se fait en « piquant » par ci par là un élément de navires MM de passage dans ce port
- parti le 5/9 au soir de Djibouti, le navire  y retourne dès le lendemain matin , toujours sujet à des avaries importantes. Il y reste plus de 15 jours pour réparations, gardant toujours à bord passagers et équipage. Mais, au moins, cette fois, les réparations semblent efficaces, et les relèves assurées et le navire peut enfin atteindre Colombo - Saïgon- Tourane Haiphong (escale de 25 jours qui n’en finit plus)


Le retour à Marseille se produit le samedi 5 février 1921 après 6 mois ½ d’absence

 

Annexes:

1er voyage sous pavillon français et équipage MM: parti de la TYNE, une fois l'équipage complété, le SCHLESWIG rejoint Marseille - de là il part pour son premier voyage Marseille/Réunion et retour du 31.3.1920 au 3.7.1920 ( Melle 31/3 - Pt Saïd  (7/4-8/4) - Suez ( 9/4 ) Diégo ( 22 au 23/4 ) - Réunion ( 26/4 au 21/5) - Tamatave ( 22 au 27/5) - Diégo (29 au 30/5 ) - Nossi-Bé (31/5) Ankify (?) ( 31/5 au 9/6 ) - Nossi-Bé (9/6 ) - Diégo (10 au 12/6) -Djibouti (19 au 20/6 ) - Suez (25/6) - Pt Saïd (26/6) Marseille ( 3/7/ 1920 )

2ème voyage : Marseille / Haïphong et retour du 14/8/1920 au 5/2/1921 - c'est celui du récit: Marseille ( 14/8) - Toulon (15 au 20/8 pour réparations ) - Canal (26 au 28/8 ) - PERIM ( 2 au 3/9 ) - Dibouti ( 3 au 5/9) retour à Djibouti ( 6 au 21/9 pour réparations ) - Colombo ( 2 au 4/10) - Saïgon (16 au 18/10 )- Tourane (21/10) - Haïphong ( 23/10 au 17/12 ) - Saïgon ( 21 au 30/12/1920 ) -Colombo (9/1/1921 au 11/1/1921 ) - Djibouti (21-22/1) - Canal (28-29/1) - Marseille (5/2/1921)

3ème voyage, similaire au précédent Marseille / Haïphong et retour du 5/4/1921 au 5/7/1921 - à l'issue de ce voyage le SCHLESWIG est renommé GENERAL DUCHESNE

 


©Claude PETRELLUZZI / Philippe RAMONA 29 septembre 2011