Paquebots vers l'Orient(extraits)

1er extrait:  
...3.   La conquête de Madagascar

L'Océan Indien est en cette fin du XIX° siècle un haut lieu de la lutte d'influence entre la France et l'Angleterre. Alors qu'elles se partagent les Mascareignes et que les Anglais s'installent à Zanzibar et au Kenya, la France s'intéresse de plus en plus à la grande île de Madagascar. Les deux îlots de Nossi-Bé et de Mayotte, acquis en 1841 ne remplissent pas toutes leurs promesses et leur rôle d'escale économique sur la route des épices. Les conflits entre missionnaires catholiques et protestants, les luttes d'influence entre commerçants français et britanniques auprès de la monarchie Hova entretiennent une ambiance un peu délétère, peu propice au développement du commerce et des échanges.

27-Le cargo Douro, aménagé comme transport de troupes
pour l'expédition de Madagascar en 1895

Dès 1883, une première intervention navale, menée par une escadre française sous les ordres de l'Amiral Pierre, entraîne l'occupation par la France de Majunga, puis de Tamatave, débouchant après deux ans de blocus sur un traité de protectorat et la cession de la baie de Diego-Suarez. Le protectorat est reconnu par la Grande-Bretagne en 1890, mais guère respecté par la monarchie hova qui continue à susciter conflits et difficultés sans nombre, à tel point qu'à la fin de 1894 la décision est prise d'une nouvelle intervention militaire, terrestre cette fois-ci, et un corps expéditionnaire de 15000 hommes est réuni, des troupes d'infanterie de marine, des chasseurs et des troupes coloniales (tirailleurs algériens, chasseurs d'Afrique) soutenant le 200° Régiment d'Infanterie de ligne.

Les Messageries Maritimes sont fortement sollicitées pour le transport de ces troupes. Six navires sont réquisitionnés pour amener le corps expéditionnaire: les 5 cargos Adour, Dordogne, Guadalquivir, Douro et Tigre et le paquebot Ava. Partis de Marseille le 19 avril 1895, les navires font escale à Alger, puis déposent leur chargement à Majunga, où se concentrent les troupes des généraux Duchesne et Metzinger. Ils feront ensuite de fréquents voyages entre Majunga, Port-Louis et La Réunion pour transporter les blessés et surtout les innombrables malades de l'expédition.
 

28-La prise de Tananarive- 30 septembre 1895

Après quelques escarmouches autour de Majunga durant le mois de juillet, le corps expéditionnaire, qui n'avait perdu quasiment aucun homme au combat se voit décimé par les fièvres, qui font des centaines de morts en quelques semaines. Devant cette situation, il est décidé de ne pas attendre plus longtemps, et le 14 septembre une colonne légère formée de 3000 des soldats les plus valides prend la route en direction de Tananarive, la capitale, qui se croit hors de portée à l'Est des hauts plateaux de la grande île. Il ne faut à ces unités que deux semaines pour parvenir en vue de la capitale, repoussant presque sans combat les troupes Hovas, pourtant réputées solides et formées par des officiers anglais.  C'est encore la maladie qui affaiblit la petite troupe et il n'y a plus que 1500 hommes le 30 septembre 1895 pour affronter les 10 000 réguliers de l'armée hova et les 20 000 supplétifs. 
Malgré un encadrement européen et des armes modernes (canons Hotchkiss, mitrailleuses Gardner), l'armée malgache est totalement culbutée et le 1er octobre à 8 heures du matin, le général Duchesne pénétrait dans Tananarive puis recevait dans l'après-midi le traité de paix signé des mains de la reine Ranavalo. Cet ultime combat n'avait coûté à l'armée française que 22 tués et une cinquantaine de blessés…

L'épilogue de cette affaire aura lieu en juin 1896, quand sera décrétée l'annexion définitive de Madagascar. Elle aura pris la vie en un an à plus de 5000 hommes, plus d'un tiers des troupes engagées, dont seulement quelques dizaines au combat, tous les autres décimés par la fièvre jaune…

La conquête aura des conséquences sur la compagnie, et notamment l'intensification des rotations vers la grande île. A partir de 1895, il y aura deux voyages par mois au départ de Marseille, desservant alternativement la moitié des petites escales, ainsi qu'un voyage mensuel par un petit paquebot stationnaire assurant une ligne annexe autour de l'île au départ de Diego-Suarez.

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2ème extrait:

56-Port-Saïd Les quais et les barques des passeurs qui conduisent les passagers à terre pour quelques francs

... Quelques passagers fortunés arrivent à mettre à profit les 24 heures que dure la traversée pour débarquer à Port-Saïd et par un voyage-éclair en chemin de fer, aller visiter le Caire puis rejoindre leur navire à Suez. Ceux qui restent vont pouvoir jouir de la traversée du désert à bord du paquebot. Le projecteur électrique nécessaire à la navigation de nuit est embarqué à la proue, et le navire s'ébranle doucement puis par ses propres moyens s'engage entre les rives du canal. La sortie de Port-Saïd est un spectacle somptueux. A gauche, l'Asie, le désert à perte de vue et au loin, on l'imagine, la Palestine et les lieux saints. A droite, c'est l'Afrique. Au-delà du talus qui borde le canal, le lac Menzaleh et ses immenses étendues, chatoyantes sous le soleil de plomb, peuplées de pélicans, d'ibis et de flamants roses. Au coucher du soleil, "le désert est tout rouge, à l'horizon les sables rejoignent une brume orangée; le ciel s'irise de vert, de mauve, de grenat, de rose; ils ont raison les poètes d'ici qui comparent le ciel de leur pays à la gorge d'un pigeon; en contraste avec l'horizon de corail, certaines collines déjà dans l'ombre sont d'un ton pur d'émeraude"… 
Le paquebot avance doucement, ne dépassant pas 10 km/heure, dans le silence de ses machines au ralenti, à peine troublé par les bruits du gouvernail qui doit en permanence corriger la route pour rester dans le chenal.

Le croisement d'un navire en sens inverse est toujours un spectacle distrayant. Il se fait dans des "gares", espaces élargis où un des bâtiments s'arrête pour laisser passer celui qui vient en face. On passe alors très près l'un de l'autre. Quand c'est un navire français, on tente de reconnaître un visage connu, un collègue ou un ami de retour vers la Métropole. Si c'est le cas, on a juste le temps de se héler et d'échanger quelques mots, courant sur les ponts en sens inverse pour profiter plus longtemps de la rencontre.

57-Croisement de bateaux dans le canal. A droite, un paquebot des Messageries est amarré au bord,  laissant passer un navire d'une compagnie britannique.

Quand vient la nuit, le faisceau du projecteur électrique fouille le long ruban miroitant du canal, accrochant seulement par endroit les godets d'une drague au repos ou, très loin devant, la poupe d'un autre navire que jamais on ne rejoint. Au-delà d'El Kantara, le bateau avance dans le désert, traversant des paysages plus escarpés où le canal forme une véritable tranchée, profonde d'une quinzaine de mètres puis, passé Ismaïlia, on longe la voie ferrée, et c'est alors un spectacle étrange que de voir le train doubler à toute vapeur le placide navire qui passe à quelques centaines de mètres à peine...

Bientôt on arrive à Suez et après une courte escale dans la baie pour débarquer le projecteur, on s'engage enfin dans la Mer Rouge. Le petit frère Arthur, toujours naïf et plein de bon sens nous décrit le spectacle à sa façon lapidaire: " Nous sommes dans la Mer Rouge. La première chose qui nous frappe tous, c'est la couleur de la mer; vraiment je ne sais pas pourquoi on l'a baptisée Mer Rouge car les eaux sont très bleues, enfin il faut prendre les choses comme elles sont…" A gauche, le Mont Sinaï qu'on aperçoit à peine, dans sa parure de sécheresse et sa polychromie primitive de roches enchevêtrées. Devant, c'est la mer, éclatante de lumière et  brûlante comme un four. A droite, le désert d'Égypte, chaos de rochers aveuglants, arides et immobiles. La température à bord devient peu à peu intolérable. Malgré les tentes et l'arrosage incessant des ponts, aucune fraîcheur ne tempère cette fournaise. D'avril à octobre, la température à l'ombre des toiles ne descend pas en dessous de 37 à 38° dans la journée, 32° la nuit. A l'intérieur c'est encore pire. Pendant plusieurs jours, aucun passager ne va plus pouvoir rester dans sa cabine. On dort sur le pont, dans une chaise longue, sur un banc ou allongé sur le sol, à peine vêtu du minimum qu'autorise la décence.

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3ème extrait:  
... A partir de 1925, certains navires mis en service sont des réussites éclatantes, tant sur le plan technique qu'économique. C'est le cas de la paire Champollion-Mariette Pacha qui va quasi monopoliser le trafic Marseille-Alexandrie jusqu'à la seconde guerre mondiale. C'est le cas des navires de l'Océan Indien, d'abord les paquebots à vapeur dérivés de l'André Lebon : Bernardin de St Pierre, Explorateur Grandidier, Leconte de Lisle puis après 1931 les nautonaphtes Jean Laborde, Maréchal Joffre et Président Doumer. C'est le cas aussi des très luxueux navires de la ligne d'Extrême Orient : Chenonceaux, D'Artagnan et Athos II lancés entre 1925 et 1927, puis des joyaux de  toute l'histoire des Messageries Maritimes:  Felix Roussel, Georges Philippar et Aramis, mis en service en 1931 et 1932.

93-L'Aramis échoué aux îles Chuzan le 22 juin 1933. La photo, de mauvaise qualité est prise depuis le croiseur Primauguet, venu le secourir

La crise mondiale va mettre un terme à cet effort de modernisation. A partir de 1931, plus aucun navire n'est mis en chantier. Seul le Président Doumer commandé cette année là sera livré en 1935. Un programme de refonte de navires existants ne pourra pas être mené à terme. Champollion, Félix Roussel et Jean Laborde seront rallongés et verront leurs performances améliorées en 1934 et 1935, mais l'épuisement des crédits ne permettra pas de traiter de la même façon leurs navires-frères.

2. Incendies

La première décennie d'après guerre sera marquée par les incendies, dont certains auront des conséquences dramatiques.

94-Le wharf de Yokohama, au bout duquel l'André Lebon était amarré pendant le tremblement de terre du 1er septembre 1923

Le premier de tous, celui consécutif au tremblement de terre de Yokohama, ravagea cette ville et l'agglomération de Tokyo le 1er septembre 1923, occasionnant la disparition d'environ 200000 personnes. Le paquebot André Lebon était au moment du sinistre à poste au wharf de Yokohama, machines démontées pour révisions. A midi, le tremblement de terre détruit le pier auquel était amarré le navire. Tandis qu'un gigantesque incendie ravage la ville et que les hydrocarbures déversés dans la baie progressent vers lui, le commandant garde son sang froid et permet, grâce à une passerelle de fortune, à des centaines de réfugiés de se mettre à l'abri à bord. Parmi eux, Paul Claudel, l'ambassadeur de France. En fin de journée, devant la progression de la nappe en feu, il faut s'éloigner. Toujours sans machines, grâce à une baleinière et d'audacieuses manœuvres avec les amarres, le navire peut gagner un mouillage sur une bouée à 400 mètres de là, assurant un abri provisoire aux 1500 personnes embarquées. Jusqu'au 11 septembre, il accueillera officiellement à son bord les services de l'Ambassade de France dont tous les services à terre avaient été dévastés.
Le 11 juillet 1926, alors qu'il descendait la Mer Rouge en direction de l'Indochine, le feu se déclara dans une cargaison de coton transportée par le Fontainebleau, paquebot presque neuf lancé seulement deux ans auparavant. Une série de maladresses aggravèrent le sinistre, et le navire amarré dans la baie de Djibouti finit le lendemain soir par chavirer et fut déclaré en perte totale. L'épave servit quelques années après de fondations au nouveau môle de Djibouti.

Le 21 décembre 1928, dans le port de Marseille, c'est au tour du Paul Lecat, ce fleuron de la flotte d'avant-guerre de terminer prématurément sa carrière. Alors qu'il était en cale sèche à Marseille, des bougies mal éteintes dans la salle à manger furent à l'origine d'un sinistre qui détruisit totalement le navire en quelques heures, malgré l'intervention de remorqueurs qui le sortirent du port pour éviter que l'incendie ne se propage à d'autres.

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