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D'après les articles du Journal de la marine Marchande
Journal de la Marine Marchande n°1983-19-12-1957:
Le
cargo "Pei-Ho" se brise en deux sur un banc rocheux près de
Casablanca
Casablanca, 12 décembre. Une violente tempête comme les habitués du port n'en ont pas vu
depuis vingt ans a régné sur la côte marocaine, le vent souffla à plus de 100
km h. De nombreux incidents sont à déplorer. Au port de gigantesques lames
sont passées par-dessus les jetées et des dizaines de blocs de 100 t ont été
transportés d'une façon stupéfiante, derrière la jetée Delure. Les bâtiments
du pilotage ont subi de graves dommages (en particulier les installations
intérieures et 'l'atelier, où toutes les machines ont été emportées par la
mer...)
Tous
les navires amarrés dans le port ont eu leurs amarres de nombreuses fois
arrachées, aucun filin ne résistant à la force de la houle.
Un
marin de la capitainerie, en surveillance au milieu du bassin, a été heurté
par une amarre qui venait de se rompre et jeté à la mer (il a heureusement été
repêché).
Journal
de la Marine Marchande n°1985-02-01-1958
Le chef des services de sauvetage de la
Compagnie Les Abeilles, du
Havre, est arrivé à Casablanca avec une équipe de spécialistes. Un téléphérique léger installé avec le concours de la
Société chérifienne de remorquage et de sauvetage,
permet d'ores et déjà de débarquer
les premières marchandises. Les sauveteurs envisagent l'installation de deux autres téléphériques plus puissants,
ainsi que la construction d'une rampe d'accès
reliant directement le Pei-Ho à la terre. Une partie de la marchandise
récupérée sera vraisemblablement
entreposée au port de Casablanca, ou éventuellement dans un entrepôt temporaire situé à proximité du navire
sinistré.
Pour activer le déchargement du Pei-Ho, la Société
chérifienne de remorquage et d'assistance qui est chargée par les
compagnies d'assurances de récupérer la cargaison et les matériaux du
bateau a décidé de construire une jetée de 375 m reliant le
rivage au, navire. Cette jetée est déjà commencée et dix-huit camions
déchargent tous les jours des tonnes de pierre et de terre.
Lorsque la jetée, de 10 m de large, sera terminée, il est prévu
de construire un quai de 100 m de long et 10 m de large le long du
bateau. Ces constructions
permettront de décharger directement la marchandise
sans se servir du téléphérique, déjà installé, mais qui s'avère
trop précaire pour transporter les marchandises.
Journal
de la Marine Marchande n°1987-16-01-1958:
Le « Pei-Ho »
est relié à la terre
Malgré toutes les difficultés que les sauveteurs eurent à surmonter et notamment une forte houle qui ralentit les
opérations de remblaiement, la liaison vient
d'être établie avec le navire naufragé.
Le Pei-Ho se trouve relié à la terre par une
bande de remblai qui permettra dès cette semaine d'accélérer l'évacuation du navire déjà commencée ; une nouvelle voie d'eau se serait
produite du côté du large par suite d'une
nouvelle période de forte houle. On comprend donc l'urgence du sauvetage si
l'on veut récupérer une
partie de la cargaison.
Journal
de la Marine Marchande n°1988-23-01-1958
:
Les assureurs du "Pei-Ho"
ont déjà versé 1250 millions de francs
Le déchargement des 7500 tonnes de
marchandises
du cargo de la Compagnie des Messageries maritimes Pei-Ho, échoué le 12
décembre près de Casablanca, a commencé vendredi dernier. Après
dix-neuf jours de travaux sans relache, la digue de 330 m de
long sur 6 m
de large qui joint le navire à la terre ferme et l'appontement de 100 m de long sur 10 m
de large qui longe
le navire en bout de cette digue ont été terminés et ont pu
recevoir les premiers camions affectés au déchargement.
L'appontement soulage le navire et le protège désormais,
au, moins partiellement. Mais le Pei-Ho, navire de 8 610 t, construit en 1951, a beaucoup
souffert au cours de son échouement et même
depuis, en raison du mauvais temps qui a sévi sur la côte. Les experts
techniques ne pourront donner leur opinion définitive sur le sort à réserver au
navire avant d'avoir pu visiter les cales vidées,
soit avant quinze jours environ.
Les assureurs maritimes de France qui couvrent le navire
ont cependant décidé de ne pas attendre l'achèvement de
l'étude technique approfondie et de verser, dès lundi 20 janvier, à l'armateur
une somme de 1 250 millions,
représentant la presque totalité de la valeur
assurée.
On se rappelle que le Pei-Ho avait été drossé
le 12 décembre par une très
violente tempête sur des rochers près de Casablanca. L'équipage
dut être sauvé par hélicoptère. Le jour même, le Comité
central des assureurs maritimes de France, représentant les
compagnies qui couvrent le navire et la majeure partie des marchandises,
envoya sur place ses experts avec mission de sauver le
navire et la cargaison.
Fixé tout droit sur les rochers, le Pei-Ho ne pouvait être
sauvé sans être allégé de sa cargaison. Celle-ci, en provenance d'Extrême-Orient
et composée de 7500 t de caoutchouc, d'étain, de tôles navales
et de diverses marchandises, notamment du thé, est évaluée à
environ 1 milliard et demi.
Son évacuation ne pouvait être réalisée par les moyens
flottants : les rochers entourant le navire interdisent
l'accès de chalands ; quant aux
téléphériques, leur débit est trop réduit. Les assureurs
maritimes ont eu alors l'idée de construire une digue partant
de la côte vers le lieu d'échouement en franchissant les rochers
et terminée par un appontement le long du navire. Un ouvrage
de cette envergure n'avait encore jamais été réalisé pour le
sauvetage d'un navire et de sa cargaison. Sa réalisation, qui a coûté
plus de 50 millions
de francs, ainsi que la direction des opérations
de sauvetage, ont été confiées par les assureurs à des entreprises
françaises, qui ont pu ainsi dans cette circonstance originale
et hardie donner la mesure de leur technique et de leur efficacité.
Malgré le mauvais temps persistant, il a suffi de dix-neuf jours — et d'autant de nuits — pour apporter et manipuler
les 200 000 mètres
cubes de pierres, de terre, de blocs et de béton qu'a
exigé la construction de la digue et de l'appontement.
Des groupes électrogènes, placés sur l'appontement,
permettent l'utilisation des appareils de levage du bord pour le
transbordement des marchandises des cales sur les camions. Les
assureurs espèrent que la cargaison tout entière sera évacuée en un
mois. Elle sera aussitôt acheminée sur la France.
Nous avons relaté en son temps comment cette admirable
unité des Messageries maritimes fut, au cours d'une tempête d'une violence
exceptionnelle, jetée à la côte sur les rochers voisins de la pointe d'Oukacha,
à quelques kilomètres dans le nord de Casablanca.
Durant cette même nuit du 12 décembre 1957, le remorqueur ElKebir,
de la Société chérifienne de remorquage et d'assistance, sauvait le petit
navire langoustier Papillon-des-Vagues et son équipage en perdition au
large de Fédala à la suite d'une avarie de moteur.
La côte marocaine, plate, rocheuse, est particulièrement
inhospitalière. Le plateau rocheux sous-marin se prolonge loin de la côte et
la houle y déferle en permanence. Le Pei-Ho, jeté par la tempête sur ce fond de
roches, parallèlement à la côte à environ 400 mètres de celle-ci, et se
trouvant en plein dans les brisants, était dans une position particulièrement
critique.
L'examen ultérieur de l'épave devait d'ailleurs montrer que
tout sauvetage du corps était rendu impossible, en raison des avaries graves
subies par le navire dans ses fonds, depuis l'étrave jusqu'à l'étambot, lequel
avait d'ailleurs disparu ainsi que le gouvernail.
Le 18 décembre 1957, la Société chérifienne de remorquage
et d'assistance passait avec le commandant du navire et les assureurs un
contrat « no cure no pay» sur les bases de la Lloyd's Form et s'attaquait
immédiatement au problème du sauvetage, en association avec la compagnie de
remorquage et de sauvetage « Les Abeilles »,. Toute opération par mer
était rendue impossible par la houle et le manque d'eau. Rappelons que
l'équipage du navire avait été débarqué par hélicoptères, grâce au concours de
l'armée américaine. Et ce n'était pas par hélicoptères que l'on pouvait
entreprendre le sauvetage de la cargaison.
La première pensée des sauveteurs fut d'établir des
transporteurs aériens pour le déchargement des marchandises par va-et-vient
entre le navire et la terre. Deux transporteurs, pouvant prendre 3 à 5 t par
voyage, seraient construits dans l'espace d'environ un mois avec le concours de
spécialistes de la Société de construction de voies aériennes, qui exploite les
brevets Etcheverry. En attendant, un transporteur léger fut mis en place pour
permettre de récupérer des marchandises précieuses qui se trouvaient vers
l'avant du navire. Ce transporteur pouvait d'ailleurs se révéler nécessaire
pour évacuer l'équipe des sauveteurs qui, dès le premier jour, avaient été
envoyés sur l'épave. Leur situation était très inconfortable et risquée du fait
des coups de bélier qui ébranlaient constamment le navire et risquaient de
disloquer l'épave.
Le 24 décembre, les sauveteurs traitaient avec la Citra
(Entreprise Schneider) pour la construction d'une chaussée devant relier le
navire à la terre et d'un quai d'une longueur d'environ 100 m. La cote de la
chaussée devait dépasser d'un mètre le niveau des plus hautes pleines mers. Si
l'opération pouvait être menée à bien, on obtiendrait une cadence de
déchargement beaucoup plus rapide qu'avec les transporteurs aériens. En même
temps l'épave pourrait s'appuyer sur cet ouvrage et mieux résister à l'assaut
de la houle qui, en cas de mauvais temps, pouvait amener la perte totale du
navire et de sa cargaison. Rien en effet n'aurait pu tenir sur place cette
masse de 163 m de longueur, en plein travers de la houle qui la portait
irrésistiblement vers la terre.
La solution adoptée n'était pas de tout repos. En effet, si
le navire faisait écran à la houle, celle-ci se reformait, venant de l'avant et
de l'arrière de l'épave, à mi-chemin entre celle-ci et la côte. Il n'était
nullement certain que ce point névralgique pourrait être franchi, ni que la
tempête ne viendrait pas compromettre le succès de l'entreprise. Le risque
était sérieux pour les sauveteurs qui. selon les termes de leur contrat, en assumaient
tous les frais.
L'opération devait être cependant menée à bien en un temps
record, grâce à la puissance des moyens mis en oeuvre par la Citra. Le 18
janvier, la route était inaugurée et les premiers camions pouvaient accoster le
Pei-Ho.
Un autre problème, plus classique celui-là, était de
redonner la vie à une épave privée de .toute énergie, les moteurs du bord étant
hors d'usage. Une centrale électrique, composée de cinq groupes électrogènes,
fut équipée et mise en place par les sauveteurs sur le quai nouvellement
construit. Les opérations de déchargement de la cargaison commencèrent
aussitôt. Elles étaient terminées le 19 février. Tout ce qui était récupérable,
au total environ 6000 t, avait été mis à terre, y compris malheureusement des
marchandises — notamment des caisses de thé — rendues impropres à la
consommation par le séjour dans l'eau et le mazout et qui durent être brûlées.
Seuls restaient à bord, dans la cale 2 dont le bordé avait été arraché dés les
premiers jours, un lot de tôles en provenance du Japon et destiné aux
constructions navales et, dans la cale 3, environ 350 t de caoutchouc formant
un magma rendu inutilisable par le séjour dans l'eau
Un tel sauvetage sur une côte battue par les rouleaux
représente sans doute une opération unique en son genre, tant par les moyens
employés que par l'importance de la cargaison récupérée.
© Philippe RAMONA et Yvan LETELLIER 13 février 2011