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La vie quotidienne à bord des paquebots des Messageries Maritimes:

Un voyage de Marseille à Saigon en 1923 à bord du Paul Lecat

 

Le 3 novembre 1923, Jeanne Marie Méchin, née Saillard - Manou - embarque à bord du paquebot des Messageries Maritimes "Paul Lecat" à destination de Saïgon. Elle a alors 27 ans et vient d'avoir, cinq mois plus tôt, son premier enfant. Elle accompagne son époux - André Méchin, polytechnicien, Ingénieur des Ponts et Chaussées - nommé au Vietnam, qu'on appelle alors indifféremment Indo-Chine ou Indochine. Partie pour trois ans, elle y séjournera plus de sept ans. Tout au long de ces sept années, elle adresse chaque semaine son "journal" à ses parents. Ces courriers mettent un mois pour parvenir en France - en 1929, la mise en service d'une liaison postale aérienne France-Indochine réduira le délais à une semaine. …

En 1924, André Méchin fait l'acquisition d'un appareil photo stéréoscopique. Il photographie alors régulièrement sa famille, les lieux qu'ils visitent et ses lieux de travail. Méticuleux, presque maniaque, il identifie et date scrupuleusement chaque photo. Ces photos sont des positifs sur plaque de verre. Elles peuvent être vues en relief au moyen d'un appareil à vision binoculaire, de type Taxiphote, ou projetées - sans le relief. Souvent endommagées - par le climat indochinois et par les manipulations - les photos ont été scannées et retouchées. Une seule des deux vues - celle qui était en meilleur état - accompagne le journal de Manou. Les annotations - à l'encre noire dans l'espace entre les deux vues - sont de la main d'André Méchin. Ce journal est ainsi un "journal à quatre mains" : Jeanne Marie Méchin pour le texte, André Méchin pour les photographies qui l'accompagnent.

Voyage aller à bord du Paul Lecat (3 au 29 novembre 1923)

3 novembre 1923

…Nous avons quitté Marseille à 6h c'est à dire entre chien et loup et je vous assure que j'ai vraiment eu un sale moment que je ne voudrais à aucun prix connaître de nouveau. Le soir j'ai couché Titi, le pauvre chéri était tout triste de voir sa pauvre maman si navrée ! Je commence par vous dire que contrairement à ce que craignait André nous ne sommes pas séparés, nous avons une des meilleures cabines à bord, n° 31, admirablement bien aérée, en face des salles de bain des dames, ce qui est appréciable avec Titi. Nous sommes au milieu du bateau ce qui fait que nous sentons beaucoup moins le tangage ou le roulis. … Ce matin nous sommes passés entre la Corse et la Sardaigne, tout près de la Corse grâce à l'amabilité du Commandant, qui profitant du beau temps, nous fait plus facilement admirer les côtes. Vraiment ce doit être bien joli à visiter la Corse si l'on en juge par la végétation et aussi par le côté sauvage de ses montagnes. Nous avons aperçu Bastia. Hier soir le smoking n'était pas obligatoire, heureusement car personne n'avait beaucoup le cœur à s'habiller je vous assure… Pour récapituler ma journée : à 6h tétée à Titi devant la fenêtre, à 7 h1/2 j'ai pris un bain d'eau de mer chaud, puis j'ai donné celui de Titi, j'aime mieux que ce soit fait encore par moi, tant qu'il est si petit, puis j'ai déjeuné dans la cabine avec du chocolat, André était descendu et avait mangé du jambon, des œufs et du chocolat ! Il est vrai que sur mer on dévore ! J'ai ensuite installé Titi sur le pont avec Thi-Aye et je me suis mise en devoir de ranger mes affaires, je voulais à tout prix m'occuper, c'est ce qu'il y a de mieux contre le cafard ! Je suis descendue en salle de prévoyance où j'ai constaté qu'une petite boite de pastels qu'André avait mise dans la malle s'était ouverte, il n'y en avait plus un dedans mais toutes nos affaires en sont saturées ! … Je me suis couchée de bonne heure en pensant à vous mes aimés ! …

4 novembre 1923

…Nous avons pu voir le Stromboli qui est un peu en éruption en ce moment, le Commandant nous l'a fait contourner en passant très près, c'est saisissant comme impression de voir les coulées de lave qui descendent dans la mer et cet énorme pic qui est complètement désertique d'un côté et a une ville sur l'autre versant. On se demande vraiment comment les gens peuvent vivre là ! C'était extrêmement joli comme coloris par ce beau soleil et une méditerranée absolument bleu-marine, nous nous sommes ensuite engagés dans le détroit de Messine, nous avons pu admirer Messine d'un côté et de l'autre la côte italienne, la Calabre, et tout cela est sauvage avec des gorges profondes et des hauteurs couronnées de petits arbres. Là encore nous sommes passés très près des côtes et à l'œil nu on distinguait nettement et on entendait les trains et on voyait les gens au bord de la mer ! …Pas de messe aujourd'hui, il n'y a, chose extraordinaire, pas un frère missionnaire à bord, il y a beaucoup de religieuses et de frères des écoles chrétiennes, mais personne pouvant dire la messe ! Nous avons eu un drame à bord cet après-midi, pendant que je commençais à vous écrire ; un chinois, passager des 3ème que l'on rapatriait à Shangaï, a échappé aux 2 soldats qui le gardaient et s'est jeté à la mer, immédiatement on lui a jeté des bouées dont une lumineuse qui se déclenche automatiquement de la passerelle et le bateau s'est arrêté. Ce n'est qu'à ce moment en sentant davantage le mouvement de la mer que je suis sortie du salon où j'étais et sur le pont j'ai vu tous les passagers très émotionnés comme vous pouvez le penser ! On a mis une embarcation à l'eau et on a pu le ramener, il était resté un quart d'heure à peine dans l'eau mais il a du avoir une congestion, car d'après les tuyaux donnés par les congaïes il serait mort le pauvre garçon… La mer est bien secouée aujourd'hui et bien des personnes ne sont pas descendues déjeuner, je vous écris avant le dîner et je crois que celui-ci aura aussi quelques personnes en moins, le bateau tient très bien la mer et je n'ai pas ressenti le moindre malaise ce dont je suis enchantée. …Il y a pas mal de petits à bord et aussi de plus jeunes que lui. Il y a d'ailleurs une salle de jeux pour eux sur le pont supérieur où quand il n'y a pas de vent ils sont admirablement bien. La température s'est bien radoucie au début de l'après midi à peu prés à hauteur du Péloponnèse. …

6 novembre 1923

…Nous arrivons demain à Port Saïd, et ce petit journal va être mis à la poste pour faire en sens inverse le trajet que nous venons de parcourir. Il y a beaucoup d'anglais à bord, ils préfèrent paraît-il les bateaux français aux leurs, la cuisine à bord étant meilleure. Ce soir nous sommes allés voir danser, depuis hier les gens s'y mettent un peu. Les femmes commencent à sortir leurs robes - Il y a à bord quelques numéros qui n'ont pas l'air dans un sac ! … Nous avons même une célébrité … Roland Dorgelès l'auteur "des Croix de bois" qui vient se présenter à la députation en Indochine et qui a l'air d'un vrai cabotin. … Je vous écris de mon lit avant de m'endormir, je vais le faire d'ailleurs car mes yeux se ferment et je le fais en pensant à vous ! (sur la même lettre) 7 novembre, 9h1/2 c.à.d. 7h1/2 pour vous. Je termine vite ce petit journal car la levée pour Port Saïd est à 11h et l'arrivée dans ladite ville à midi. Nous avons très beau temps et comme il y a beaucoup d'air et très frais il fait très bon bien que le thermomètre accuse 25°, la mer est d'huile et rien ne bouge. … 7 novembre …Je ne peux pas dire que la vie à bord soit désagréable, bien au contraire, comme tu pourras le voir, j'ai autour de moi des gens charmants qui essaient de me faire oublier la grande distance qui me sépare de vous. Enfin Dieu merci cela ne durera que 3 ans et j'espère pouvoir rapporter bien des choses intéressantes… J'espère petite maman que tu suis les prescriptions qui te sont ordonnées… Je serais tellement plus tranquille si je me dis que tu es raisonnable ! …

Le Paul Lecat à Port Said (aquarelle de Sandy Hook)
Photo Collection P.Ramona

 

2ème lettre - 7 novembre 1923

…Nous venons de quitter Port Saïd qui est vraiment bien mieux que ne pensait André. André était attendu par l'Ing. en Chef, et moi après la tétée je suis descendue à terre avec Suzanne et son mari. Nous avons circulé dans la ville, nous sommes même entrés dans la succursale des gds Magasins du Printemps, cela fait plaisir si loin de retrouver un coin de Paris ! Il faisait très bon, les marchés très bien approvisionnés, beaucoup d'égyptiens naturellement, d'anglais et de très jolis petits négrillons. Toute cette population a envahi le bateau pour vendre sa camelote et ses prestidigitateurs sont venus, ils sont d'une adresse surprenante. Ils vendaient de très jolies écharpes d'argent sur tulle blanc ou noir ; dans une écharpe on peut faire une robe et André très gentiment m'en a acheté une. …Titi a été très intéressé par toute cette agitation et il bavait d'admiration sur l'épaule de sa congaïe. Nous avons appareillé à 8h1/2 pour nous engager dans le canal. …


Gallé-Gallé, (ou Gali-Gali) le prestidigitateur de Port Said
(Sphinx, mars 1927)

Photo André Méchin

Les camelots du canal de Suez à bord
(Sphinx, mars 1927)

Photo André Méchin

8 novembre 1923

Nous sommes restés en panne toute la nuit pour cause de brume, chose très rare paraît-il. C'est vraiment saisissant ce canal et l'on est fier d'être français en voyant le travail surhumain que cela a dû être. Il est bordé de deux déserts… Nous avons vu des chameaux et des femmes arabes, le bateau bien entendu allait très lentement de sorte que nous avons très bien vu, du côté égyptien il y a de la végétation et des maisons par endroits, mais de l'autre c'est le désert ! avec des dunes dans le lointain. Nous avons pris du retard et nous n'arriverons à Suez que ce soir, le temps d'y déposer le courrier. Nous y sommes arrivés au moment du coucher du soleil et c'était vraiment joli, surtout que dans ces pays la nuit tombe très rapidement, mais nous avons vu subitement le temps d'un éclair le désert devenir rose, d'un rose merveilleux. Nous entrons ce soir dans la mer Rouge. …

9 novembre 1923

…Évidemment il fait chaud mais le bateau est bien organisé pour cela et c'est supportable. Titi a ses 5 mois aujourd'hui. Il est presque complètement nu, juste sa petite combinaison, tous les gosses du bateau sont comme cela. Il est mignon, et on peut voir de cette façon ses petites fossettes. Il y a pas mal de réverbération sur la mer aussi nous mettons nos lunettes, pas encore vu le fameux rayon vert, célèbre dit-on dans la mer Rouge, il se couche tous les soirs derrière les nuages ! Il continue à faire bien chaud. Je me demande ce que ce doit être au mois d'août ! Nous voyons des poissons volants mais je les croyais beaucoup plus gros. Nous voyons aussi des requins et des marsouins dans notre sillage. …

10 novembre 1923

…La nuit a été vraiment chaude et pourtant nous sommes admirablement bien placés et nous avons beaucoup d'air. Titi couche avec sa ceinture de flanelle et son drap ! et le vent souffle de notre côté, du côté opposé ce ne doit pas être rigolo, car en plus ils ont le soleil tout l'après-midi ! Aujourd'hui le bord est en effervescence, car on prépare une fête pour demain soir. 11 novembre, nous sommes bien loin mais nous n'oublions pas cette date sur notre petit coin ! Il y aura concert et sauterie. Les passagers font bien entendu les acteurs, nous avons même une actrice, la femme de Roland Dorgelès, Nadia Routchine, les petites Regard jouent du Schumann à 4 mains et bien entendu on danse après. Il doit paraît-il y avoir après celle-là 2 autres fêtes dont une costumée, les jeunes filles sont enragées et elles ont l'air de bien s'amuser. …

11 novembre 1923

…Ce matin je me suis levée juste pour déjeuner mais surtout pour pouvoir me distraire bien ce soir, je suis tout à fait d'aplomb maintenant. … On aperçoit un peu la terre, je ne sais pas encore ce que c'est, nous devons arriver demain à Djibouti vers 2 heures pense t-on. En l'honneur de l'Armistice j'ai mis ma petite robe d'organdi rose, et André se déclare satisfait, elle a au moins l'avantage d'être bien fraîche. Je vous donnerai demain des nouvelles. … 12 novembre (postée à Djibouti) Nous arrivons à Djibouti dans 1 heure, aussi je me dépêche de terminer mon petit journal. La soirée d'hier a été très réussie. Il y a eu des chants et ensuite on a dansé un peu. … Il y a beaucoup plus d'air aujourd'hui et nous avons 29° dans la cabine ce qui est très supportable. On attend ma lettre pour le courrier aussi je vous quitte mes quatre chéris. …

12 novembre 1923(en mer)

Nous avons quitté Djibouti hier au soir à 22 heures. Escale vraiment curieuse, mais vraiment c'est loin d'être un pays rêvé, je vous assure. Nous y sommes arrivés à 2 heures ; arrêtés en pleine mer, c'est en petit bateau que l'on va jusqu'à terre, ce qui est le plus frappant de l'escale, ce sont les tout-petits négrillons somalis - le type est trés joli d'ailleurs - qui pour quelques sous plongent du haut du bateau dans la mer et remontent par les cordages comme de véritables singes ! Ils chantent en cœur quand il sont dans l'eau une sorte de mélopée à plusieurs voix tout à fait curieuse. Le pont a bien entendu été tout de suite envahi par eux et par les marchands de plumes d'autruches et d'éventails… Nous sommes descendus à terre après ma tétée de 3 heures… La végétation est pour ainsi dire inexistante. Le palais du Gouverneur est au bord de la mer dans un fouillis de palmiers étiques et roussis, chaque arbre est dans une espèce de petit cratère pour que l'eau avec laquelle on l'arrose ne s'évapore pas immédiatement ! C'est paraît-il une capitale à côté de ce que c'était il y a quelques temps. Les femmes ont un assez joli type et elles regardent les européens hommes avec un intérêt non dissimulé. Nous avons pris une bière André et moi dans un café, et dans ce doux pays les mouches sont nombreuses je vous assure, André et moi nous pensions bien que ce n'était pas beau, mais vraiment pas à ce point laid ! Nous sommes rentrés pour m'occuper de Titi et ce dernier semblait trouver toute l'animation du pont à son goût. …

 

Le Palais du Gouverneur à Djibouti
Photo Collection P.Ramona

Les enfants de Djibouti
Photo Collection P.Ramona

14 novembre 1923

…On prépare à bord deux jours de réjouissances, tombola, dont les lots sont fournis par les passagers, heureusement que pour les passagers peu au courant comme nous, le coiffeur du bord a toutes sortes d'objets qu'il cède à des prix rémunérateurs pour lui ; le produit de la chose est pour l'œuvre des gens de mer. Il y a également des courses organisées sur le pont avec des prix… un grand bal et samedi un dîner travesti suivi de bal ! Heureusement le travesti n'est pas obligatoire car… je ne suis pas seule dans mon cas à ne pas avoir de costume ! Tout cela pour faire passer le temps jusqu'à Colombo. Aujourd'hui grâce à l'amabilité du commandant nous sommes passés tout prés des côtes du cap Guardafui, pays habité par des sauvages qui se sont approchés du bateau montés sur leurs pirogues qu'ils manœuvraient à la pagaie. Il ne fait pas bon faire naufrage sur cette côte désolée, qui est d'ailleurs très mauvaise, car ces bons nègres c'est tout juste s'ils ne sont pas anthropophages ! Il y a 4 ans à peine, un bateau s'est perdu sur la côte… ils ont juste laissé aux passagers leur casque pour tout costume ! Les Anglais n'ont jamais pu arriver à y construire un phare… Nous avons très bien vu trois villages construits sur la côte, et après cela nous avons dit adieu à l'Afrique pour trois ans ! L'Océan Indien a l'air de bonne composition. Il fait très bon maintenant à bord, même frais, il y a eu beaucoup de vent mais nous ne dansons pas du tout… Nous avons eu aujourd'hui le plaisir de voir une bande de marsouins faire de splendides cabrioles. …

16 novembre 1923

…Première journée de réjouissances sur le pont. Il y a eu des courses, c'était assez drôle, la fête était bien entendue pour tout le bateau, ce qui fait que c'était un peu mêlé, jamais nous n'aurions pensé qu'il y eut une telle différence de milieu entre les 1ères et les secondes. Il y a d'ailleurs quelques personnes tout à fait bien, ce ne doit pas être drôle pour elles. Pas besoin de vous dire que je n'ai pas pris part aux courses ! Il y avait de très jolis prix fournis par les passagers. Monsieur Darras, un ancien X qui est tout à fait gentil vient de proposer à André un très joli costume de chinois moderne, pour le dîner de demain. J'espère qu'il sera réussi là-dedans. Tout le bateau sera déguisé ou à peu près. André voudrait que je me costume mais je ne sais pas comment. Il fait bon aujourd'hui sur le pont…

17 novembre 1923

La soirée d'hier n'a pas été mal, malheureusement pour les danseurs il n'y a qu'un phonographe à bord pour faire danser, ce qui est court vraiment. Nous sommes rentrés à 11 heures comme des gens bien sages, et j'ai réveillé Titi à minuit et demi, pour qu'il ne fasse pas le coup d'hier, il a en effet sauté une tétée, André ni moi ne nous sommes réveillés ! Seulement le matin j'étais bien mal à mon aise comme tu peux le penser, et pour que pareille chose ne se renouvelle pas j'ai mis un réveil ! Une Dame amie des Karcher avec qui nous dînons, me propose un costume pour ce soir, comme elle se déguise aussi j'ai accepté et je serai en arabe avec une très jolie robe authentique en soie vert-cru brodée rouge et jaune, mon écharpe achetée à Port-Saïd en ceinture, et un voile noir. André prendra des photos demain matin. Je vais passer une paire de bas blancs dans une boule jaune car avec le vert le blanc serait laid. L'habillage sera long surtout qu'il faut être prêts à 7 heures et Titi aime bien que l'on s'occupe de lui ! …

18 novembre 1923

C'était vraiment très joli comme coup d'œil cette soirée et ce dîner, les costumes étaient jolis et ce qui était amusant c'est que tous étaient combinés avec des choses que l'on avait à bord et qui certes n'étaient pas destinées à cet usage. Il est arrivé un groupe déguisé en Maltais, ils s'étaient mis en guise de fez les rince-doigts en cuivre du bord, c'était roulant ! André était très réussi en chinois, vous en aurez d'ailleurs une photo car ce matin Karcher nous a pris sur le pont. Nous sommes passés aujourd'hui à côté de Minikoy et voici la première vue de la terre d'Asie. C'est une toute petite île perdue dans l'Océan Indien, il y a une végétation très grande, la même paraît-il qu'à Colombo, elle est habitée car il y a un phare et plusieurs maisons en paille. Nous commençons à constater que l'on se rapproche de l'Équateur, car il fait bien chaud. Nous avons suivi cet après-midi les exploits d'un souffleur, énorme poisson, exactement un cachalot qui lançait des jets d'eau avec des poissons volants c'est vraiment curieux, on constate que nous sommes dans les mers chaudes. L'océan est d'un calme plat, juste de grandes ondulations qui procurent un léger tangage au bateau. …

19 novembre 1923

Je vous écris du salon, tout le bateau en fait autant, on voit que demain nous serons à Colombo ! Nous sommes paraît-il en avance et nous allons rester à Colombo 18 heures, et ce qui est plus embêtant 24 heures à Singapour à 1 degré de latitude c'est vraiment un peu dur ! surtout que nous serons à quai. Nous allons avoir le temps demain de faire une gentille excursion avec Titi bien entendu ; il y en a une autre très belle, le lac de Kandy mais c'est beaucoup trop d'auto pour Titi ! Nous tâcherons de le faire au retour. Ce matin on aperçoit l'Inde, le plateau du Dekhan exactement, nous avons l'impression d'être bien loin maintenant, et je songe au retour ! … heureusement trois ans ce n'est pas malgré tout une éternité. …Le bateau va bien se vider demain, des quantités d'anglais doivent descendre. Nous avons à bord une grande personnalité anglaise que tu connais peut-être de nom : Lady Chater, une vraie grande dame vraiment Lady. Il y a aussi à bord une passagère tellement malade que le docteur craint bien ne pas pouvoir l'emmener jusqu'à Saïgon où son mari l'attend, elle est partie de France avec un cancer et depuis la mer Rouge elle va paraît-il pas du tout bien, elle a à peine 30 ans ! Elle est seule avec sa petite congaïe qui ne la quitte pas. On a télégraphié à son mari de venir la chercher à Penang ou à Singapour. Pauvre petite femme c'est navrant et le malheureux mari qui est à Saïgon est aussi bien à plaindre. …

24 novembre 1923

…Nous avons quitté Colombo à 6 heures du matin après une escale de 24 heures. Après la tétée de Titi nous nous sommes levés pour voir le lever du soleil sur Ceylan, cela valait vraiment la peine. Ce matin nous sommes descendus à terre André et moi, mon époux était enchanté d'avoir sa femme qui pouvait se débrouiller parfaitement dans ce pays complètement anglais. Colombo est une belle ville et il y a un jardin le "Vicoria Garden" où il y a une statue le l'old Queen qui aurait fait l'admiration d'Antey (sa tante), il y a de très belles choses dans les magasins, mais vraiment la roupie est tellement haute en ce moment - 16 roupies pour 100f, elle valait 1f45 avant la guerre - que pour nous autres français ce n'est pas abordable. …J'ai pensé ma chère petite maman, que mon grand-père était venu lui aussi dans ce pays-là, il ne pensait pas qu'une française qui serait sa petite fille y viendrait à son tour ! … Après le déjeuner à bord, nous sommes allés en auto faire une promenade dans les environs à Mount Lavinia. Je n'avais pas emmené Titi car on m'avait fait peur pour la chaleur, il faisait au contraire très bon et j'ai passé mon temps à regretter qu'il ne soit pas avec moi. J'ai pu malgré cela admirer le paysage, la végétation est très fournie et toute nouvelle pour nos yeux européens, toute de bananiers, papayers, cocotiers, dattiers etc. de très belles fleurs, des palmiers évidemment fantastiques et très verts. …Le type du pays est très beau, l'homme et l'enfant surtout, la peau est très bronzée et les lignes du corps et de la tête sont vraiment très belles ! Les petits enfants sont tous nus jusqu'à 7 ans à peu près, ils sont vraiment mignons. Les femmes portent une espèce de jupe faite d'une étoffe voyante roulée autour de la taille et une espèce de "casaquin" blanc avec rien dessous. Il y en a quelques-unes assez jolies. Nous avons été voir un temple Bouddhiste, ce qu'il y avait de mieux c'était le Bonze drapé à l'authentique dans un péplum jaune. …

Le Paul Lecat à Colombo (aquarelle de Sandy Hook)
Photo Collection P.Ramona

25 novembre 1923 André :

…Depuis ce matin nous apercevons la côte de Sumatra. Il paraît que nous serons le 29 à Saïgon et je saurai de suite mon affectation. Si nous allons à Hanoï nous continuerons sur le même bateau jusqu'à Haïphong. …

26 novembre 1923

…Nous avons quitté Penang hier à midi, malgré le peu de temps dont nous disposions nous avons pu faire une jolie promenade en pousse, une vingtaine de kilomètres. Nous avons quitté le bateau à 7h pour entendre la messe de 8h, bien entendu nous avions emmené Titi et sa congaïe, après quoi nous sommes allés visiter une pagode chinoise à 10km de là en pousse, j'avoue que ce moyen de locomotion me semble vraiment antédiluvien, et je ne peux pas dire à quel point cela me semblait inhumain, je dois dire que les Chinois qui nous conduisaient semblaient eux enchantés de leur sort, nous avions bien entendu un pousse par personne et André a pris des photos de la caravane. La pagode est vraiment curieuse, nous avons vu des Bouddhas de toutes sortes, le Bonze a fait acheter à André des pétards et pour notre grande joie il (le bonze) les a fait partir, il paraît que cela fait plaisir à Bouddha ! Vous ne pouvez pas imaginer ce chahut, nous y avons vu de gentilles petites chinoises endimanchées aux cheveux bien lissés. Il y a une population chinoise très importante dans l'île mais ils sont importés, l'indigène est malais et ne fait rien, ce sont les anglais qui ont importé les chinois comme main d'œuvre.

Séjour à Saigon et retour en France (1923 à 1927)

26 mai1924

…Vendredi dernier nous sommes allés dîner chez les Warnod, puis tous les convives nous sommes allés ensuite sur le "Paul Lecat", où nous avions à dire au revoir au directeur de la TSF qui rentrait en France, les veinards. Tout Saïgon était d'ailleurs à bord et l'on dansait tant que l'on pouvait. C'est toujours très couru les passages de ces grands bateaux "Paul Lecat" et "André Lebon" - nous sommes restés jusque vers minuit puis nous sommes tranquillement rentrés chez nous en pensant tous les deux au moment où nous reprendrons, nous aussi le bateau et nous espérons bien celui-là - il fait 4 voyages par an, ce qui lui fait 12 voyages avant notre retour, plus que 10 ! …

7 au 13 juin 1924 …

Nous sommes allés déjeuner à bord de "l'Algol" qui se réparait ici et qui hier a rejoint la mer de Chine. Le Commandant Franchet que nous connaissions nous avait invités. C'est un véritable artiste, qui fait l'aquarelle, les animaux et particulièrement les chevaux d'une façon absolument épatante. Il a de jolis albums de ses différentes campagnes, bourrés d'amusants croquis en couleurs. Il a un dessin extrêmement sûr et ses dessins rehaussés d'animaux et de personnages sont absolument vivants. …

 

Cap St Jacques 16 juillet 1924
Photo André Méchin

17 juillet 1924 - Cap Saint Jacques

…Ma dernière lettre a embarqué ici, sans passer par Saïgon. C'est la chaloupe qui va chercher le pilote à bord, qui remet en effet la correspondance du Cap. On peut dire que c'est à la dernière minute puisque le bateau ralentit seulement et ne stoppe pas ! Saïgon étant sur une rivière que les grands courriers remontent, ils prennent au Cap, le dernier endroit en pleine mer, un pilote connaissant bien la rivière, (ce sont en général d'anciens officiers de marine) et c'est eux qui ont la responsabilité du bateau jusqu'à Saïgon. Quand ils partent ils laissent le pilote devant le Cap, dans la chaloupe qui vient le rechercher. …

 

 

24 octobre 1924

…Lundi soir nous sommes allés voir arriver "l'Amazone" des Messageries qui amenait la fameuse troupe théâtrale tant attendue des Saïgonnais. C'était très amusant, car tout ce qu'il y avait de célibataires était présent pour voir si par hasard il n'y avait rien à faire, nous étions avec les Lautier et nous nous sommes bien amusés. Je n'ai su que le lendemain que les Duphilo étaient à bord ! …

Une troupe donnant un concert à bord d'un paquebot des Messageries Maritimes
Photo Collection P.Ramona

19 décembre 1924

…Nous sommes allés à bord de "l'Angkor" dire au revoir à deux personnes du Cercle qui rentraient en France. Il y avait le tout Saïgon à bord - le petit Prince d'Annam regagnant la France pour y continuer ses études. Il y avait des tas de Mandarins de la Cour de Hué avec de jolis costumes. Nous avons vu le bateau s'éloigner, ce qui est toujours un peu pénible pour ceux qui restent, quand on se dit que cette grosse masse s'en va vers la France et vers la famille ! À force de mettre des gens au bateau, nous finirons heureusement par nous y mettre nous-mêmes !

30 janvier 1925

Je reprends mon journal au dimanche 25 - à 8 heures messe, la veille au soir nous nous étions couchés assez tard, étant allés dire au revoir aux Heurteau à bord de "l'André Lebon" - nous y étions allés avec Melle Hao et nous y avons vu les croquis et les pochades faites par le peintre Sarrazin, il a un très joli talent et a rendu ce pays d'une façon épatante ; quand il fera une exposition allez-y. C'est un charmant garçon qui a un vrai talent. …

31 octobre 1925

…Le "D'Artagnan", que j'ai visité, emportera ceci demain. C'est vraiment un bien joli bateau parfaitement bien conditionné et je le prendrais bien volontiers pour rentrer l'année prochaine ! Il y a 2 ans ces jours-ci j'ai passé des moments joliment pénibles et que je ne voudrais pas revivre, jamais je n'aurais pensé qu'un départ pût être aussi déchirant… Et je pense que l'arrivée à Marseille me réserve une joie aussi violente que le chagrin que j'ai eu en voyant le bateau s'ébranler !

21 novembre 1925

…Mercredi : Arrivée du Gouverneur Général Varenne, nous sommes allés avec Yves chez les Karcher dont les fenêtres étaient aux premières loges : déploiement de troupes, une baleinière du "Michelet" est venue tout contre le "Paul Lecat" avant qu'il n'approche, pour prendre à son bord le Gouverneur et sa femme et les amener au débarcadère qui leur avait été préparé et que depuis 2 jours on n'arrêtait pas de balayer ! …

6 février 1926

…Ce matin une nouveauté, nous sommes allés avec Madame Delaittre à bord du "Fontainebleau" trouver le coiffeur pour me faire couper les cheveux ! Cela ne me va pas mal du tout et me rajeunit ! … En nous faisant couper les cheveux nous avions l'impression d'être en France à Marseille, le coiffeur était tellement de la Canebière que c'en était touchant ! … … "Le Fontainebleau" qui emporte cette lettre part demain, emmenant aussi Madame de la Passadière, son mari et ses 4 enfants. La pauvre femme est en bien piteux état, c'est navrant, elle est descendue de Dalat hier juste pour s'embarquer, elle ne pourra jamais revenir ici c'est bien certain et son mari a quitté définitivement la marine maintenant, c'est navrant parce qu'ils sont charmants. Elle n'aurait jamais dû revenir étant donné qu'elle avait déjà failli mourir à un premier séjour de cette entérite aiguë…

14 février 1926

…Lundi, le matin je suis descendue chez Mme Delaittre avec Yves passer la matinée dans le jardin de l'Agent Général des Messageries en attendant le départ du "Fontainebleau" qui emmenait différents amis dont les de la Passadière. Hélas je crains bien que si la pauvre femme arrive vivante, ce qui n'est pas sûr, elle ne se remette jamais. Je n'ai jamais vu une femme changer en si peu de temps. Tous nous étions absolument navrés et nous faisions des efforts terribles pour cacher sur nos physionomies l'impression d'effroi qu'elle nous produisait, et dire que ses quatre enfants sont si beaux ! (Madame de la Passadière décédera 15 jours après son arrivée)

30 juillet 1926

Pas encore de courrier de vous cette semaine mais hélas c'était prévu puisque celui qui le transportait gît par je ne sais quelle profondeur dans les flancs du malheureux "Fontainebleau". …

Le paquebot Fontainebleau, incendié et coulé le 11 juillet 1926 à Djibouti
Photo Collection P.Ramona

8 août 1926

Tout d'abord il faut que je vous dise toute ma joie !! …Toutes mes félicitations mes parents chéris pour la nomination de papa à la Cour de Cassation. Te voilà avec le rabat de dentelle et tu peux imaginer mon papa aimé comme je suis contente. J'aurais dû le savoir par le précédent courrier, et la lettre qui m'apportait la nouvelle est en train de nourrir des poissons de la mer Rouge !

10 septembre 1926

Le "D'Artagnan" m'a apporté hier ta bonne lettre. Je crois qu'à son prochain voyage c'est lui qui nous emmènera. Je le souhaite car c'est un excellent bateau tout neuf et extrêmement confortable. Il quittera Saïgon le 7 février environ. Pas besoin de vous dire que je l'ai regardé et j'ai visité une des cabines à 3 couchettes avec une douce émotion ! …Le prochain voyage !

Voyage de Marseille à Saigon à bord du Sphinx (4 au 28 mai 1928)

4 mai 1928- depuis Marseille

…Nous partons en très bon état de notre côté ; pour que je parte l'esprit calme je voudrais penser que vous vous soignerez tous le plus possible. Je confie vos précieuses santés à la Providence et aussi à nous de veiller les uns sur les autres. Le plus dur de mon voyage est fait.

5 mai 1928- lettre de Blanche Saillard à la mère de Jeanne Marie

Ma chère Mary, Comme je te l'ai promis, je viens te donner tout de suite des nouvelles de tes chers voyageurs. Le Sphinx est parti bien exactement à 4 heures et j'ai compris et partagé en le voyant s'éloigner tous les sentiments de ton cœur de maman et ceux d'Henry ! …Ces départs sont si pénibles qu'il ne faut pas venir accompagner jusqu'à bord ceux qui vous sont chers ! …J'ai essayé de te remplacer avec tout mon cœur et pour te consoler un peu je puis te dire que Jeanne Marie et les enfants se sont embarqués dans les meilleures conditions possibles et tous en très bonne santé… Grâce à la recommandation du Commissaire du port qui est venu lui-même à bord, Jeanne Marie a été reçue avec empressement par le personnel et installée dans une bonne cabine sur le pont comme elle l'avait demandé. Le Commandant du "Sphinx" est venu la voir, mettant à sa disposition le Maître d'hôtel qui est le même qu'à sa dernière traversée et s'est mis en quête d'un soldat pour garder les enfants et comme il y a très peu de passagers de 1ère la femme de chambre est toute disposée à rendre service à Jeanne Marie et à s'occuper des enfants… Nous avons tout de suite déballé la malle et les valises… La cabine est vaste et confortable… Le commandant pense que le "Sphinx" arrivera à Saïgon et que la traversée sera très calme… Le bateau est superbe - très bien compris et très stable…

5 mai 1928

Je commence une petite lettre que je mettrai à Port Saïd. Avant ceci je mettrai une lettre océan sans doute demain car nous croisons bientôt le "Paul Lecat". Vous avez eu rapidement des nouvelles de mon départ par tante Blanche… Il ne fut pas bien gai comme vous pouvez le penser et j'avais le cœur bien bien gros en voyant s'éloigner ND de la Garde… Grâce à tante Blanche toute mon installation était faite au départ. M. Antonini, l'agent Général des M.M. de Marseille est venu avant le départ me présenter le Commandant. Aussi tout le monde est parfait à bord. J'ai pu avoir un soldat colonial pouvant s'occuper des petits et qui semble devoir très très bien se tirer de son nouveau service… (Jeanne Marie est alors enceinte de 6/7 mois) Le soir du départ j'ai eu une grosse émotion, Yves qui avait passé une excellente journée s'est plaint de violentes douleurs d'oreilles, le pauvre gosse hurlait littéralement. J'ai fait venir le Dr qui n'a pu se prononcer, la crise s'est prolongée jusqu'à 1h1/2 malgré les compresses chaudes et les gouttes, il a fini par s'endormir et depuis plus rien, sans doute un coup de froid ! Vous n'imaginez pas la nuit que j'ai passée et cela n'a pas diminué mon cafard. … Je passe maintenant de bonnes nuits, nous n'avons pas encore chaud, froid même, nous venons de passer le détroit de Messine. Je vous quitte mes chers parents aimés, ne vous inquiétez pas pour moi. Cela me manque terriblement d'être sans nouvelles de vous. Hélas je peux encore attendre ! Cette vie coloniale est vraiment affreuse avec ces perpétuelles séparations. …

Le 8. (mai 1928)

Nous arriverons demain à Port Saïd. Je ne pense pas descendre avec ma progéniture. Nous avons eu hier un peu de mauvaise mer, moi je me suis bien comportée, heureusement car Yves a eu le mal de mer et il est resté allongé sur le pont une bonne partie de la matinée. Il n'était pas le seul ! Décidément il y a des grâces d'état car mon soldat aussi était malade ! …

 

Le pont promenade des premières
(Sphinx, mars 1927)

Photo André Méchin

13 mai 1928

…Quelle température depuis Port Saïd ! C'est effrayant, nous sommes anéantis, nous arrivons demain à Djibouti, l'escale sera dure et le commandant va y rester le moins longtemps possible. Nous avons encore pour 2 jours de cette grosse chaleur, les pauvres gosses du bord sont bien malheureux. Jacques m'a piqué un 38°7, la chaleur certainement… Je serai plus tranquille quand nous aurons quitté ces eaux si pénibles …Dans l'Océan Indien ce sera bien moins pénible… Je compte les jours qui me séparent encore de l'arrivée. Jamais traversée ne m'aura parue aussi longue. Je continue ma lettre après la sieste, les enfants sont sous la garde de la force armée qui s'acquitte très bien de ses fonctions. …

 

Le Sphinx à Colombo
(Sphinx, mars 1927)

Photo André Méchin

21 mai 1928

…Nous arrivons demain matin à Colombo. Jamais je n'ai eu une traversée aussi longue, la semaine dernière Jacques et cette semaine c'est Yves qui a été malade, il m'a fait toute une journée de fièvre, 39°, sans cause apparente, depuis il est encore fatigué, sans doute un coup de soleil. Cela complique pas mal les choses je vous le garantis, comme vous pouvez le penser j'ai bien grande envie d'être arrivée. Il fait terriblement chaud, nous avons eu mauvaise mer en quittant Djibouti et Yves a eu le mal de mer, tout cela les fatigue ces pauvres gosses. Enfin plus que 8 jours demain. Nous allons rester toute la journée à Colombo et je vais tâcher de descendre un peu à terre si je ne suis pas trop fatiguée. … La traversée s'écoule monotone et lente malgré mes nombreuses et multiples occupations. Le manque de lettre de vous m'est pénible, votre appui à tous me manque bien. Tout le monde à bord est très gentil pour moi heureusement, on me facilite la tâche le plus possible, mais les petits ne veulent guère aller qu'avec moi ! … Ils n'ont plus leur belle mine de France…

25 mai 1928

…Nous arrivons demain à Singapour ! et 48 heures après le départ, à Saïgon. Je pousserai un ouf ! quand j'apercevrai le casque de mon époux ! … À Colombo je suis descendue avec les enfants et mon soldat. Avec deux autres personnes nous avons pris une auto et nous avons circulé de 2h à 6h, nous avons essuyé 2 averses soignées mais nous sommes revenus enchantés de notre balade. Grâce à mon militaire cette petite promenade a été plutôt un repos pour moi. Celui-ci m'a beaucoup remercié le soir de lui avoir procuré ce plaisir, car sans cela il ne serait pas descendu à terre, c'était trop cher pour lui… Je suis beaucoup mieux depuis quelques jours, le bébé est remonté beaucoup, aussi mes varices ont bien diminué et enfin je pense marcher avec un peu moins de peine et je suis aussi moins inquiète mais il y a quelques temps j'en souffrais vraiment beaucoup…

Le séjour va se poursuivre jusqu'en 1931 mais le récit des voyages se termine en 1928