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D'après un rapport totalement inédit signé Morin
Le 19 mai 1887, le MENZALEH dans les parages de l'île Saddle, près de l'embouchure du Yang Tse Kiang, par environ 30° N - 122°E
Le 19 mai 1887, au soir, vers 5h30, la rupture du tourteau de l'arbre des machines produit une voie d'eau énorme. Le capitaine du " Menzaleh " met au poste d'abandon, et se décide à faire évacuer son bâtiment lorsqu'il lui est rendu compte que les feux s'éteignent, que l'eau envahit rapidement sans qu'on puisse se rendre un compte exact de l'accident.
L'abandon du navire se fait avec ordre, et les embarcations, à la remorque les unes des autres, se tiennent à petite distance du " Menzaleh ". Le capitaine, voyant que le bâtiment n'enfonce pas trop vite et que l'avant reste bien émergé, revient à bord avec sa baleinière, et aidé de son Chef-Mécanicien, dispose son monde pour pomper à bras. L'eau monte toujours, à la raison d'un centimètre par minute. La cale n°3, sur l'avant de la chaufferie, reste sèche.
C'est dans ces conditions qu'on se trouve, lorsque le " Glenshiel ", ayant aperçu les signaux de détresse du " Menzaleh " arrive à portée : il est environ 8h30 du soir lorsque le capitaine du " Menzaleh " monte à bord du " Glenshiel " pour s'entendre avec le commandant de ce steamer. Pendant ce temps, le Chef-Mécanicien, resté seul avec le monde qui pompe à bord du " Menzaleh ", hèle en vain les autres embarcations pour avoir une relève. Il se décide, ne voyant rien venir, à suivre tout le monde à bord du " Glenshiel ". Le capitaine anglais, accompagné du capitaine du " Menzaleh " se rend à bord de ce dernier navire pour aviser.
A son retour à bord du " Glenshiel ", il pose les conditions suivantes : le capitaine du " Menzaleh " laisse l'entière direction des opérations au capitaine du " Glenshiel ", qui, sauf cette concession, renonce au remorquage. Toute ingérence du capitaine du " Menzaleh " est soigneusement écartée. Quant aux frais qui pourront résulter de cette tentative, c'est aux Cies qu'on laissera le soin de les arrêter et de les régler. Dans ces conditions, le capitaine anglais essaiera de conduire le " Menzaleh " vers Shanghaï, et, faute par le capitaine français de les accepter, le " Glenshiel ", gardant à son bord tout le personnel, équipage et passagers du " Menzaleh ", abandonnera ce bâtiment et continuera sa route vers le Japon.
D'accord avec tous ses officiers, le capitaine du " Menzaleh " se soumet à ces conditions qu'il trouve très dures. La nuit du 19 au 20 se passe à faire quelques voyages d'un bord à l'autre, pour sauver ce que l'on pourra. Dès ce moment, les Anglais ne respectent rien à bord du navire en détresse ; ils visitent tout, défoncent des malles, fouillent des cabines, etc, etc…
Le 20 au matin les deux bateaux mettent en route et arrivent le soir en vue du Phare des Saddle. La brume, le vent, les forts courants rendent la route difficile et inquiétante, on se décide à mouiller à 6 milles au NE ¼ E du phare. Pendant ce remorquage, le personnel du " Menzaleh " n'était représenté sur ce bateau que par le maître d'équipage, trois matelots et des chinois. Lorsqu'on fut en route, le second du " Glenshiel ", qui commandait à bord du " Menzaleh ", ordonna au maître d'équipage et aux autres hommes de ce bateau, de le quitter et d'embarquer dans un canot à la traîne du " Menzaleh ". Sur leur résistance quelque peu légitime, il se munit d'un sabre d'abordage et en menaça le maître français, pendant qu'un de ses aides du " Glenshiel " saisissait au collet un autre homme du " Menzaleh ". Pour éviter l'effusion de sang, les marins du " Menzaleh " descendirent donc dans le canot et ne purent obtenir de remonter pour prendre des vivres qu'on leur refusait. Pendant ce temps, les Anglais se livraient à un véritable pillage à bord du " Menzaleh ", et l'un d'eux, en s'emparant d'un revolver qu'il trouvait dans la cabine d'un officier, se logeait une balle dans la main.
On mouille enfin, le " Menzaleh " est coulé jusqu'au pont, par l'arrière, son avant reste émergé, la cale n°3 ayant été respectée par l'eau. La nuit se passe sans personne à bord. Le 21 au matin, on tente de réinstaller les remorques. Quelques voyages sont encore faits par des officiers du " Menzaleh ", les uns pour aider à l'opération, les autres pour sauver ce qu'ils pourraient d'un désastre qui semblait imminent. De ces derniers se trouvait le mécanicien que Mr Fraser prétend avoir vu avec une clef de vanne à la main. Le mécanicien le nie. En tout état de cause, le chinois charpentier du " Glenshiel " a manœuvré la vanne de la cale n°3. Cette cale était-elle sèche au moment où il la manoeuvrait ? Mr Fraser prétend que non, et que s'il a envoyé le chinois la manœuvrer, c'est que ce dernier lui avait dit que l'eau envahissait cette cale. Qui donc l'aurait ouverte ? L'accusation est assez évidente, mais outre les dénégations de l'officier Mécanicien, dont l'attitude est très péremptoire, on ne voit pas à quel mobile il aurait obéi. Je demeure convaincu que l'accusation portée contre l'officier Mécanicien du " Menzaleh " est dénuée de tout fondement. D'ailleurs, après la manière dont les Anglais se sont conduits, à bord du " Menzaleh ", on ne peut que difficilement les croire à l'encontre de gens qui avaient plus qu'eux intérêt à maintenir un état de choses dont l'examen ultérieur ait pu prouver entre quelles mains peu généreuses ils étaient tombés.
Le " Menzaleh " coula vers 10h du matin le 21, par 14 brasses de fond, à basse mer, en vives eaux. Le bateau est resté droit, et, quand le " Primauguet " a quitté Shanghaï, on s'occupait de l'adjudication du sauvetage. Une expertise, envoyée sur les lieux après ordonnance consulaire, a d'ailleurs déclaré ce sauvetage, tant du gréement que des marchandises, très problématique, et en tous cas long et coûteux. Au terme du cahier des Charges, la Cie qui se chargerait de ce sauvetage aurait pour elle les trois-quarts de la valeur des matériaux sauvés. Le reste serait ultérieurement réparti entre les intéressés.
Signé : Morin
© Philippe RAMONA 17 novembre 2007 transcription du texte: Michel THOUIN