J’ai quitté Rio Janeiro le 13 9bre 1878 à deux heures du soir. Brise du S qui a passé à l’ENE et à l’E à la hauteur de Ste Catherine.
Le 16 9bre à midi, j’étais par latitude 33°45 S et longitude 55°03 W. Ce résultat m’avait été confirmé par les observations de midi de tous les officiers.
Les courants depuis la veille m’avaient porté de neuf milles au Nord 13° ouest pendant 24 h.
A midi je donnai la route au S 50° Ouest du monde, Sud 34° Ouest du compas, variation observée 16° Nord Est.
Le 16 9bre à 2h25 du soir, aperçu San Miguel morne peu élevé à quelque distance de la côte, c’était la première fois que je voyais depuis Rio Janeiro.
A 3h1/2 du soir une longitude observée me donnait 55°35 W et une latitude estimée depuis midi 34°09 Sud ; je continuai la même route, le temps était très beau.
A 4 h du soir, un morne près de la côte del (Palma ?) restait par le travers à 15 milles. A 5 h du soir, j’avais par le travers le (brèche ?) du Cerro de los defuntos par le travers à 19,5 milles. En ce même moment, un banc de brume qui était dans le S.E. s’est mis en mouvement, a envahi tout l’horizon et m’a enlevé la vue de la côteet de lavant qui était si clair il y avait quelques instants.
La brume continuait : à 5 h 15 du soir, je suis monté sur la passerelle, j’ai fait venir au S. 28° Ouest du compas (S.44° ouest du monde) sans venir sur tribord et j’ai prévenu la machine pour qu’on se tint paré à manœuvrer et que la vitesse fût diminuée.
A 5h45 du soir, j’ai fait venir au S 22° Ouest du compas (S 38° du monde)avec la même recommandation sans venir sur tribord |
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L'Hoogly mouillant en rade (dessin de Sandy Hook) |
Il y avait à peine 45' que la brume était survenue comme je l'ai dit plus haut, l'horizon devant était bien clairet j'avais parfaitement vu la côte avant l'arrivée de la brume, rien n'avait été aperçu devant, ni par moi, ni par l'officier de quart, j'étais donc convaincu que si la première route devait me faire passer à 3 milles environ des îlots de Torres, à plus forte raison, je devais m'en éloigner après être venu de 15° sur bâbord.
Tous les points relevés me mettaient en dehors de la ligne que je m'étais proposé de suivre. Depuis le moment où la brume s'est déclarée, j'ai fait fonctionner le sifflet d'alarme et je me disposais à réduire encore la vitesse, lorsqu'à 6h05 le navire a touché le fond. Stoppé aussitôt et fait sonder dans toutes les cales, le navire ne faisait pas une goutte d'eau, la mer était calme, le navire avait glissé sur un fond régulier sans forte secousse. J'ai commandé alors machine en arrière pour essayer de tirer le navire de cette position critique.
J'ai rassemblé alors tous les officiers et les principaux de l'équipage et il a été décidé à l'unanimité que pour le bien et le salut commun, il fallait sans perdre un instant il fallait alléger le navire et faire jeter à la mer des marchandises. En même temps, j'ai fait élonger deux ancres à jet avec de bonnes aussières que j'ai fait virer pendant que la machine tournait en arrière et qu'on allégeait le bâtiment.
Le navire possédant des moyens de déchargement puissants pour cette opération, en conséquence les mats de charge ont été gréés et vers 6h10' du soir, on commençait à porter de l'avant à l'arrière des caisses de tabac manufacturé fort lourdes pour obtenir un allègement de l'avant, les fonds à l'arrière étant de 7 mètres, et à 7 h du soir on commençait à jeter des barriques de vin à la mer dans les cales avant. Puis par des sondes rejetées m'étant assuré qu'il y avait 6 à 7 mètres d'eau tout autour du navire, ses flancs appuyant par trois endroits sur les rochers, à l'arrière du porte-haubans du mat de misaine à tribord, sous la chaufferie à bâbord et par le travers du grand mat à bâbord, ses sondes nous montrant qu'un allègement rajouté pourrait nous sauver, ayant calculé que la pleine mer devait avoir lieu vers minuit 50, comme j'en ai eu la certitude ensuite, j'ai fait jeter à la mer des caisses de tabac du pont et fait monter des barriques des deux cales.
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La brume étant par moment moins intense, j'ai pu me rendre compte de l'endroit ou était le navire. Il était à 10 mètres environ au N.N.E. de l'îlot Torres le plus à terre sur le cap Polonio (B. Orientale)
Vers 11 h du soir, la mer se fait, le navire commence à fatiguer, je presse autant que possible le jet à la mer pour tâcher de profiter de la pleine mer. Stoppé à la machine à 9 h du soir, puis pour profiter de la montée de l'eau remis aussitôt en arrière vers 10 h avec bonne pression.
La fatigue devient de plus en plus forte vers minuit on m'annonce de l'eau dans les cales avant et arrière, celle de la machine étant tout à fait sèche. Fait (?) les petits chevaux pour pomper dans les cales AR et ouvert un peu les vannes de la cale avant pour pomper l'eau dans la machine et alléger autant que possible.
L'eau n'augmente pas, mais vers 2 h du matin, le 17 9bre, elle augmente sensiblement avec les secousses qui deviennent de plus en plus considérables et répétitives.. Stoppé alors vers 3 h du matin, puis l'eau étant toujours localisée dans les deux cales seulement essayé un dernier effort, remis en route arrière à 3h50 du matin et stoppé à 4 h20. L'eau montait rapidement et tout me faisait supposer que les dernières secousses avaient crevé le navire en plusieurs endroits. Tout était fini et tout ce qui avait été possible pour le bien et le salut commun avait été accompli.
J'ai donné des ordres pour qu'on procédât au sauvetage des passagers et des dépêches avant que le temps ne devint mauvais.
A 2 h du matin, j'ai fait cesser le jet à la mer. Le détail des colis jetés à la mer est comme suit:
Caisses tabac 123
Barriques vin 186
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Le lieu du naufrage, à quelques encablures du Cap Polonio, 200 km au Nord de Montevideo (photo Google Earth) |
Dès que le jour a commencé à paraître j'ai expédié un officier (M. Lanvin) à terre pour essayer de faire parvenir de nos nouvelles à Montevideo afin qu'on nous envoie des secours immédiats.
Au Cap Polonio, se trouvaient quelques cabanes occupées par de pêcheurs de loups marins.
Le fils du principal de ces pêcheurs est monté à cheval immédiatement pour se rendre à la station télégraphique la plus voisine qui ne se trouve pas à moins de 25 (km?) me promettant de me porter le reçu de la dépêche à 10 h du soir. Au moment où j'écris (11 h du soir), je n'ai pas encore reçu de réponse mais j'ai lieu de croire que ma dépêche est parvenue à destination, le principal du village m'offrant quelques garanties par des certificats.
Le jour s'étant fait complètement, je fais commencer le sauvetage des passagers et des dépêches, qui s'est opéré avec le plus grand ordre, les femmes, les enfants et le vieillards quittant le navire les premier. J'expédie ensuite à terre des vivres et de l'eau, puis les bagages des passagers qui se trouvaient à la main, les groups et quelques objets tels que toutes les toiles pour se procurer un peu d'abri.
Les secousses étaient devenues terribles, et le séjour à bord était devenu dangereux, j'ai fait embarquer l'équipage dans les embarcations, puis l'Etat-major et moi le dernier et nous avons quitté le navire.
A l'arrivée à terre, j'ai fait appel général, tant des hommes composant l'équipage que tous les passagers. Personne ne manquait à cet appel. Je fais alors dresser quelques tentes et distribuer un peu de nourriture à tout le monde pour réparer les forces épuisés par les (?) d'un travail incessant et forcé qui avait duré toute la nuit, les quelques chances de survie dépendant de la plus grande rapidité dans les opérations. Il était alors 10 h du matin. |
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L'îlot Torres vu du Cap Polonio (photo PaBLiTo par Google earth) |
Dans cette pénible circonstance, je n'ai eu que les éloges les plus flatteurs à prodiguer à tout le monde. La conduite de tout l'état-major est au dessus de tout éloge, quelques passagers ont aussi fait preuve du plus grand dévouement.
Dans le cours de la journée du 17 novembre, aidé par tous les officiers et l'équipage, je fis travailler à confectionner le plus d'abris possibles et à pourvoir au bien-être de chacun, les ressources locales étant à peu près nulles.
Ma conviction est que la cause qui a amené la perte du navire est un courant très violent et imprévu portant à l'Ouest. J'ai pu le constater, le bâtiment étant échoué: un petit plomb, mouillé sous la passerelle était entraîné dans le SO avec violence. J'ai dû le faire remplacer par un autre beaucoup plus lourd.
Des remarques fournies par les pêcheurs concordent avec mon observation.
Dans le courant de l'après midi, le temps le permettant j'ai envoyé une embarcation à bord pour nous procurer encore quelques ressources.
Cap Polonio (république de l'Uruguay) le dix sept novembre mil huit cent soixante dix huit.
Le capitaine de l'"Hoogly"
Signé Reynier
Suivent soixante treize signatures. |