L'Incendie du paquebot Guadalquivir
Article paru dans "Le Petit Parisien" du 31 mai 1903:
INCENDIE DU STEAMER "GUADALQUIVIR" EN RADE DE SALONIQUE
De graves événements se sont produits a Salonique.
Ils sont l'œuvre du « Comité révolutionnaire macédonien » qui s'est donné pour mission de conquérir l'indépendance de la Macédoine.
Le principal chef de ce Comité, nommé Deltcheff maître d’école avait réuni le 13 avril dernier tous ses adhérents, et c'est à ce moment sans doute que l'insurrection fut décidée.
Le plan des insurgés est d'exaspérer par des attentats le gouvernement Turc et de l'amener à exercer des répressions sanglantes: et ils comptent que des répressions forceront l'Europe à intervenir et à prendre des mesures en faveur de la Macédoine.
Le premier acte des révolutionnaires a été l'attentat contre le steamer Guadalquivir de la Compagnie des Messageries maritimes a bord duquel une bombe de dynamite a éclaté.
Voici, d'après l'équipage du navire, le récit détaillé des faits:
L'explosion s'est produite exactement à onze heures vingt. Au moment ou le navire quittait le port de Salonique. Les machines venaient de prendre la libre route. La bombe éclata au centre même du navire, dans la batterie des officiers, qui se trouvaient en ce moment à table, loin heureusement de leurs cabines
Par la force de l'explosion, un tuyau de vapeur fut rompu, blessant cinq des chauffeurs, grâce à la présence d'esprit et au courage du mécanicien Le Galit, les malheureux purent être dégagés avant l'asphyxie complète.
Le navire prit feu avec une telle rapidité que les hommes de l'équipage et même les officiers n'hésitent pas à dire que des substances inflammables avaient été répandues sur le navire et dans les cales; on voyait les flammes courir sur le pont.
Au milieu des cris des passagers, le commandant Combes, tout en ordonnant des mesures pour combattre l'incendie, fit mettre à l'eau les canots de sauvetage de l'arrière, les autres étant déjà devenus la proie des flammes; les passagers, au nombre d'une vingtaine, s'y entassèrent.
Pendant ce temps, tous les efforts pour conjurer l'incendie restaient vains; le feu faisait des progrès effrayants .
Le Commandant Combes quitta la passerelle, qui s'effondra aussitôt, sapée par les flammes. Des embarcations de toute sorte vinrent pour porter secours.
Le feu, à ce moment, dévorait le navire tout entier: officiers et équipage n'eurent que le temps d'embarquer sur les navires sauveteurs.
Le Commandant Combes, dont la conduite au dire de tous, fut digne des plus grands éloges, quitta le dernier le Guadalquivir.
Le Guadalquivir fut pris en remorque par le vapeur Penelope qui le conduisit à l'entrée du port de Salonique, mais toute tentative d'extinction était dès lors inutile. Le fléau avait accompli son œuvre, le navire était entièrement perdu.
Par les soins du consul de France a Salonique, les hommes de l'équipage furent dirigés sur l'hôpital de la ville, pendant que les officiers et les passagers recevaient, dans les hôtels, les soins que nécessitait leur état.
L'auteur présumé de l'attentat, nommé Yorghi Minof, qui était vêtu avec une certaine élégance était venu à bord avec un billet de quatrième classe. Il avait mis une grande insistance a échanger son billet de quatrième Classe contre un billet de première, ce qui devait lui permettre de pénétrer dans le centre du navire et de la batterie des officiers, où il parvint à déposer sa bombe.
Il paraît certain que les dynamiteurs voulaient, par cette explosion à bord du Guadalquivir, amener toutes les autorités et de nombreuses forces de police sur les quais. Pendant ce temps, ils auraient continué leur œuvre de destruction dans la ville. Ce qui est établi, c'est que d'autres bombes éclatèrent en plusieurs points. La Banque ottomane, voisine de l'hôpital, était incendiée. Pendant toute la nuit, des détonations se succédèrent, des cris d'épouvante retentissaient de toutes parts. L'affolement règne encore à Salonique, où l'on craint de nouveaux attentats
« Le Petit Parisien » Dimanche 3 mai 1903, n°747, p.174