Retranscription intégrale du rapport du Capitaine Filippi, 2nd capitaine au moment du drame
Le "Djemnah » quitte le port de la Joliette le 6 Juillet 1918, à 12 h. 30, avec 530 t de marchandises diverses et 606 passagers. Fait les tirs d'essai se sur but fixe et mouillé sur rade de Marseille à 14 h. 45.
Les ceintures de sauvetage ayant été distribuées dès l'embarquement des passagers, il est procédé à un long et minutieux exercice général d'abandon, de combat et d'incendie.
Appareillé le 7 juillet, à 9 h. 30, et fait route en convoi at avec • Abdel-Khader », « Tafna », « Rhône » «Machico », « Biskra » et « Hong-Kong », sous l'escorte de « Altaïr », « Arquebuse », « Le Lahire», « Impatiente », etc
Le service de veille est organisé comme suit :
2 hommes au mat de misaine,
2 hommes à la passerelle supérieure,
2 hommes à la passerelle 8inférieure,
4 hommes dans les canots l, 2, 3, 4,
4 hommes aux pièces ,2 à chacune.
Les embarcations sont en dehors et les radeaux pratiquement installés le long du bord à l'exception de six qui sont sur le pont, entièrement dégagés et non saisis. Les pompes royales sont prêtes à fonctionner.
Tout le monde, passagers et équipage, sait ce qu’il a à faire en cas d'attaque.
Arrivé sans incident à Bizerte, le 9 juillet, à 21 heures, et mouillé dans le lac intérieur. Appareillé le 10, à 9 heures, et fait route en convoi avec « Waitemata », «Branksome - Hall » , « Austraifort » et « San-patrik», sous l'escorte du sloop « MalIow » et de trois chalutiers.
Beau temps, mer très belle. La vitesse très faible 8 noeuds au départ, est très irrégulière et tombe parfois jusqu'à 5 nœuds.
Le 13 à 21 h. 45, le « Branksome-Hall » tire sur un sous-marin qu'il aperçoit à faible distance. Le convoi se conformant aux ordres reçus, va de quatre quarts sur bâbord en augmentant l'allure.
La même nuit, le 14, à 0 h. 45, le « Branksome-Hall» est torpillé. Le « Mallow» se porte à son secours pendant que le convoi continue sa route en donnant tout sa vitesse jusqu'au jour.
Journée calme le 14. Comme les jours précédents, nous faisons les routes en zigzags, la vitesse du convoi ne dépasse pas 8 nœuds. Le convoi, diminué d’une unité est formé en ligne de front de bâbord à tribord: « Australfort », « Djemnah », « Waitemata», guide, et « San-Patrik ».
A 21 h. 32, M.G., le « Djemnah » est torpillé par le travers de la cale à bagages, à tribord.
Au bruit formidable de l’explosion, Je me suis rendu sur la passerelle et me suis mis aux ordres du commandant.
Celui-ci, qui avait déjà donné l'ordre à la machine de stopper, me dit d'examiner rapidement quelle était notre situation. J’avançais sur l'arrière par tribord et je vis que le bateau coulait rapidement par l'arrière. Je vins en rendre compte au commandant qui m'ordonna pendant que lui-même sifflait au poste d'abandon, de m'occuper du sauvetage et d'éviter toute panique. Je retournai vers l'arrière en coupant au passage plusieurs saisines de radeaux; en arrivant près du poste de T.S.F. je vois le grand mât se briser au ras du pont et s'abattre avec fracas sur le roof des cabines de luxe pendant que l'arrière du navire s'engloutissait. Je me suis nettement rendu compte que le navire s'était coupé en deux; rebroussant chemin, j'en avisai le commandant mais le navire se matant brusquement, j'ai été entraîné à la mer dans son remous. Je me suis dégage avec beaucoup de peine ; en revenant à la surface, je constatai que le navire avait complètement disparu. Il a coulé en moins de deux minutes, par 33°12' de latitude Nord et 23° 55’ de longitude Est de Greenwich.
A bout de forces, je me débattais dans l'eau lorsqu'un radeau se trouvant à ma portée le matelot Godillot, du «Jaureguiberry», m'a saisi et hissé à ses côtés; on entendait des cris, des appels de toutes parts, la mer était couverte d'épaves. Le sous-marin éclairé marchant en surface circulait parmi les débris.
Le « Mallow » retenu au large à environ 15 milles au moment du torpillage, prévenu par nos signaux de TS.F., est venu sur les lieux vers les l heure du matin.
J'ai été recueilli le 15, à environ 3 h. 45, au moment où notre radeau surchargé menaçait de couler. Les 26 occupants ont été évacués en trois voyages: je suis resté avec les derniers les plus valides.
Je venais de monter sur le sloop lorsque notre canot n° 2 est venu déposer des rescapés. J'allais prendre la direction du sauvetage lorsque le sloop, par suite d'une alerte, a dû prendre le large abandonnant toutes ses embarcations et ouvrir le feu sur le sous-marin.
Il n'est revenu sur les lieux du sinistre que vers les 6 heures et a continué le sauvetage.
Le chalutier « Presidency », de notre escorte, est arrivé peu après, à 7 heures environ, et a recueilli le reste des survivants groupés sur les radeaux.
Le « Mallow », avec 208 naufragés, a fait route sur Alexandrie vers 8 heures; suivi par le chalutier et est arrivé à quai le 16 juillet, à 8 heures environ.
Les rescapés, sommairement substantés par la Croix-Rouge Anglaise à leur débarquement, ont été dirigés sur le camp d'Alexandrie.
Le « Presidency », arrivé dans la nuit vers 21 heures, a débarqué 110 personnes qui furent également dirigées sur le camp anglais. Il a donc été déposé, sur le quai d'Alexandrie, 208 + 110 = 318 rescapés.
Le Djemnah avait à son bord 601 passagers et 153 hommes d’équipage; nous avons donc déplorer la perte de 372 passagers et 64 hommes d'équipage, en tout 436 personnes.
Comme d'habitude, l’état-major du navire a payé un large tribut à la mort. Parmi ces victimes du devoir figurent notre regretté commandant, M. Méric Charles, le chef mécanicien M. Mailhol, le commissaire M. Valentin, le lieutenant Méhu et le télégraphiste Detunco, ainsi que M. Peton, officier mécanicien.
L'équipage s'est très bien conduit, je n'ai eu connaissance d'aucune défaillance, les passagers m'ont témoigné leur admiration et leur reconnaissance pour tous.
Le nombre élevé des victimes est dû à la rapidité avec laquelle le navire a disparu. Il ne m'est as possible de citer tous les actes de dévouement, l'enquête les fera connaître.
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Certifié œ qui précède exact et fait toutes réserves que de droit pour les omissions et oublis involontaires que j'aurais pu commettre.
Alexandrie, le 18 juillet 1918
Le deuxième Capitaine succédant au Commandant du « DJEMNAH ».
©Philippe RAMONA 11/5/1998