L'ENCYCLOPEDIE DES MESSAGERIES MARITIMES

 

Le voyage du Général de GAULLE dans le Pacifique à bord du CALEDONIEN en août-septembre 1956

...Revenons à notre Général de Gaulle. Celui-ci embarque à bord juste avant le départ de Fort de France. Il va faire nuit, debout sur l'aileron, éclairé par un projecteur, il va faire ses adieux aux martiniquais assez nombreux sur les quais, en faisant,en final , le V de la victoire. Voilà pour le départ. Ce qui est sûr, c'est que le Général embarque avec le statut de chef d'état. Tous les télégrammes reçus ou envoyés, après, le stipulent. D'après ce que j'ai su, c'est que les gouvernements qui se succédaient en France à ce moment là avaient un problème crucial avec les Antilles, la Polynésie et la Nouvelle Calédonie qui réclamaient l'indépendance.

Le général De Gaulle embarque à bord du Calédonien à Fort de France dans la soirée du 14 août 1956

 

48 heures après notre départ, 2 fauteuils ont été installés devant le poste radio, et, tous les matins, de 10h à 11h30,Mme de Gaulle venait tricoter, tout en regardant la piscine et le Général lisant du Flaubert. De temps en temps, Mme de Gaulle retirait le livre des mains du Général et celui-ci partait marcher 1/2 heure en passant par la passerelle où il saluait l'Officier de pont,et rentrait dans le poste radio me serrer la main et regarder le petit drapeau indiquant chaque jour la position du navire. J'ai su pourquoi Mme de Gaulle retirait le livre : le Général avait de gros problèmes de vue à ce moment là. J'ai surtout fréquenté Claude (en fait Jean) Mauriac qui, tous les jours, envoyait un très long télégramme pour la presse parisienne. Ces missives étaient surtout très poétiques, exemple : " et les grands oiseaux blancs nous annonçaient les terres australes " Le Colonel de Bonneval, lui, envoyait seulement les messages officiels ou privés du Général, quant à Olivier Guichard, vu sa taille de boxeur, on croyait que c'était le garde du corps du Général, en fait, c'était son Chef de Cabinet .

Les officiers de quart du le pont du Calédonien en août 1956

 

Le Général nous a invités à boire le champagne, d'abord avec les passagers de 1ère classe, puis avec les 2ème classes, et enfin avec les 3èmes classes. Au cours d'un de ces apéritifs, Claude Mauriac était en train de me dire " comment faites vous pour rester des mois sans voir votre femme ? moi je ne pourrai pas ! .. " Le Général s'est mêlé à la conversation et lui a dit " les marins sont comme les militaires, le devoir passe avant tout " En dehors de cela, le Général fréquentait très peu les passagers. Je pense qu'il voulait fuir les quelques politiciens qui étaient venus pour l'approcher. . . L' Etat-Major du navire n'a pas été modifié pour y mettre des anciens FFL. Personnellement mes relations avec St.Lys radio se faisait avec un ancien radio FFL qui était toujours aux divers rendez-vous. Je n'ai jamais entendu parler du lit du Général, et encore moins des " carottes Vichy ". Quant à l'aide de camp venu vérifier dès le départ de Marseille la hauteur (sous barrot) je n'en n'ai jamais entendu parler. Moi-même, j'ai appris la venue du Général qu'après Gibraltar . A mon embarquement, à l'Armement à Marseille, Jacquot m'avait simplement dit " comme vous venez de subir l'opération de l'appendicite, je vous donne la meilleure ligne " ! ! ! Revenons au voyage Canal de Panama : RAS -puis, en mer, beau temps . A 48h de Tahiti, une panne de machine nous a fait perdre 12 à 36 h de retard sur l'horaire d'arrivée prévue. Plusieurs messages ont été adressés au Gouverneur via Radio Tahiti pour changer le programme prévu à l'avance. Tout était minuté au 1/4 d'heure près. Au sujet de l'avarie de machine, le Général m'a simplement dit " c'est l'imprévu du voyage ".

Le général De Gaulle à bord du Calédonien

 

L'arrivée à Papeete en début de matinée a été l'apothéose : une nuée d'embarcations nous attendait. Le Général est descendu en rade et, sur un radeau, il a été accompagné vers la terre A Papeete, c'était la fête .Le discours du Général a eu lieu l'après midi . Une foule immense était rassemblée devant le palais du Gouverneur . Après quelques mots en tahitien, il leur a dit " dans quelques temps vous aurez votre terrain d'aviation ". En effet, ce fut fait en 1958. Puis le voyage reprit normalement- je ne me souviens pas si nous avons fait escale à Port-Vila. En fait, je commençai à sentir la fatigue ,car, en plus de l'envoi des messages, je faisais le journal du bord en prenant en morse l' AFP et en joignant quelques nouvelles de New-York ou Moscou. L'accueil traditionnel à Papeete le 30 août 1956   Enfin, nous arrivons à Nouméa. L'accueil fut plus " France Libre " qu'à Tahiti, mais là aussi, toutes les embarcations disponibles étaient là, en rade, pour nous recevoir. Le discours eût lieu Place des Cocotiers. Auparavant, le Colonel de Bonneval était venu au poste radio pour me remercier du travail accompli Le Général nous laissa continuer notre voyage vers Sydney. Quant à lui, l'avion le ramena en France en passant par Djibouti. Fin de voyage qui m'a laissé quelques souvenirs. Hélas, je n'ai pas de photos de ce voyage et ne me souviens pas des noms des Officiers qui étaient, à bord ,avec moi. Le seul nom que mon cerveau veut bien me donner est celui du Commandant Brandon - lui seul pourra répondre à certaines questions que vous posez dans votre lettre ".......   René Giuge L'aviso colonial DUMONT D'URVILLE, ex-FNFL accueille le CALEDONIEN à Nouméa le 11 septembre 1956 Ces quelques lignes d'une lettre qui m'était personnellement adressée, et dont je garantis totalement l'authenticité, méritent quelques précisions et commentaires de ma part : Tout d'abord, la mémoire des noms, chez mon ami GIUGE,comme d'ailleurs chez la plupart d'entre nous est manifestement défaillante, ce qui ne nuit en rien à sa mémoire des faits . Le nom du Commandant n'est pas Brandon mais Teisseire, authentique FFL mis spécialement aux commandes de ce navire pour la circonstance par la Direction de l'Armement. Le Cdt Brandon est décédé en 1990...de toute évidence GIUGE l'ignorait. (...) Le navire a quitté Fort de France le 14 août, est arrivé à Papeete le 30 août pour en repartir le 2 septembre, escale à Port Vila du 9 au 10 septembre pour arriver finalement à Nouméa le 11 septembre à 17h00 à quai. C'est vrai que l'arrivée à Papeete s'est faite avec 1 jour de retard sur les prévisions, d'une part à cause du stoppage du moteur Bd pendant 17 heures suite à la rupture de la chaîne de la soufflante, d'autre part à cause de plusieurs ralentissements dus au mauvais fonctionnement des soupapes des moteurs, et enfin, le navire pouvant malgré tout arriver le soir du 29 il a été décidé de ralentir pour se présenter vers 07 h au pilote ,le 30 pour se recaler sur le nouveau " Timing " des cérémonies prévues. Quand Giuge parle de radeau sur lequel le Général a débarqué, je pense qu'il s'agit de la fameuse pirogue " royale " réservée pour les grandes cérémonies. Ce devait être, en effet, " fastueux " cette grande pirogue de parade escortée par des dizaines de pirogues tahitiennes chargées de vahinés enguirlandées et vêtues de leurs plus beaux paréos aux couleurs chatoyantes ,donnant une image idyllique de l'hospitalité polynésienne telle que l'ont connue Cook et Bougainville en leurs temps... Le Cdt Teisseire, dans son rapport, fait remarquer que la présence du Général de Gaulle aurait pu marquer l'atmosphère des 1ères classes d'un sentiment de contrainte en raison de sa personnalité, mais il n'en fut rien et la traversée s'est déroulée à la satisfaction unanime. En ce qui concerne la hauteur " sous barrot " je tiens du Cdt Dhermain qui, en tant que Second Capitaine, avait effectué le précédent voyage du Calédonien et débarqué quelques jours avant le départ de ce voyage ci ( remplacé par le S/C Molade ) qu'il est exact qu'un Officier de la suite du Général, s'est présenté avec un bâton d'une longueur équivalant à la hauteur du Général en uniforme et képi posé sur la tête, et avec ce bâton il a fait le tour du pont des 1ères classes puis ,à la suite de cette visite, plusieurs lampes d'éclairage situées en plein milieu des plafonds du pont ont été déplacées vers les cloisons. De même la couchette destinée au Général, a été rallongée et il a fallu pour cela modifier la cloison de séparation d'une cabine jouxtant la sienne. Quant aux " carottes Vichy " un bruit a couru selon lequel le Chef de Cuisine avait ordre d'exclure cette dénomination du Menu des 1ères classes. " se non è vero, è bene trovato " disent les italiens ! Quant au " recul " que prenait le Général vis à vis des passagers de 1ère classe, il faut dire qu'il y avait du beau monde : Son Excellence de Bérangol de Lille (Ambassadeur de France en Nouvelle Zélande ), Mr.Jacobson (conseiller de l'Union Française), Mr Iba-Zizen (conseiller de l'UF ), Mr.Frey (conseiller de l'UF), Messieurs Foccard et Guichard (conseillers de l'UF), Mr.Follerau (homme de lettres), Mr.Maurice Lafleur (propriétaire de mines, gros chargeur de la Cie ) ..ceci explique cela . Pour terminer ces commentaires, je donne la composition de l'Etat-Major : Cdt Teisseire Sd.Cap Molade Lts Pont : Verdier, Ruyssen, Delaquaise EOP Ré, Courbon Chef Méca Vial Sd.Méc Casta Lts Mec Seran, Gaudry, Nobili, Gavini EOM Desguin Dr Péron Cre Dubois Radios Lanotte, Giuge Fait à Marseille le 24 Mai 2006 Claude Pétrelluzzi Petites précisions au récit de Giuge : Il semble confondre Claude Mauriac avec Jean Mauriac, son frère, qui est le 2eme fils de François Mauriac. Effectivement pendant tout le trajet nous avons tous pensé qu'il s'agissait de Claude parce qu'il était plus connu et qu'il avait été le secrétaire du Général mais la vérité historique est qu'il s'agissait de Jean. Giuge oubli de parler d'un message ou ce même jean Mauriac voyait le "Général accoudé au bastingage avec au dessus de lui, la croix du sud briller comme une gigantesque croix de Lorraine" Le passage d'un chef état du canal de panama (territoire sous contrôle des Etats Unis) ne pouvait pas être ignoré. Le gouvernement des E.U. a donc délégué un militaire de haut rang (je n'ai pas pu compter les galons à la coupée et de toutes façons je n'y comprenais rien) suivi d'un sans grade porteur d'un immense bouquet de fleurs pour saluer notre Général.et Madame. Après son départ, le Général aurait dit, mais que ne raconte ton pas dans les coursives, que les E.U. devraient se méfier de la contagion de Suez. (Neguib et Nasser venaient de nationaliser le canal). Le rapport de mer du Cdt Teisseire fait état de l'arrêt de 17 heures mais probablement ne parle pas des nombreux petits incidents de machine pendant cette traversée; Les arrêts d'un quart d'heure étaient très fréquents. Et il avait été dit que 31 soupapes avaient été changées au cours du voyage probablement a cause d'un mazout de mauvaise qualité embarque à Willemstad.   Le CALEDONIEN dans les écluses de Miraflores à Panama en 1963 (photo Claude Allemand) Si la pirogue d'apparat est venue près du Calédonien, c'est en vedette a moteur que le général a rejoint la terre. Raoul Follereau, qui faisait partie des passager était sans doute écrivain mais aussi et plus notoirement fondateur de la Fondation Raoul Follereau qui s'occupe encore actuellement avec beaucoup d'abnégation de soigner les lépreux. Un appel aux dons passe d'ailleurs régulièrement à la télévision pour la journée des lépreux. La particularité de R. Follereau sur le Calédonien a été de rendre plus sportif les tours de pont qu'il pratiquait au pas de charge. Jean Jacques Courbon   La vedette mène à terre le général de Gaulle escorté par de nombreuses pirogues (Papeete, 30 août 1956)

 

Sauf mention contraire, les photographies sont de Jean Jacques COURBON