Journal de Maurice Potier, engagé volontaire qui rejoint l'Indochine en janvier 1951 à bord du SKAUGUM.
Le SKAUGUM était un navire mixte norvégien destiné au départ au transport d'immigrants vers l'Australie, affrêté à de nombreuses reprises par l'état français sous gérance des Messageries Maritimes pour le transport des troupes en Indochine
janvier 1951-Le SKAUGUM à quai à Marseille
Marseille 17 Janvier 1 9 5 1 - Saïgon 10 Février 1 9 5 1
Sitôt les évènements de Langson et Caobang terminés, nous reçûmes l’ordre d’embarquer .
Le 16 janvier, quai de la Joliette à Marseille, en fin de journée, sans doute pour ne point heurter la vision des bien pensants, alors que nous étions là, en rangs, paquetage au pied, quelques dizaines d’énergumènes vinrent provoquer par leurs cris et leurs insultes, en brandissant des gourdins, plusieurs centaines de militaires prêts à embarquer. La bataille commençait à un endroit, lorsqu’un colonel arrivant en retard avec un camion d’hommes en armes, nous fit tous mettre au garde à vous, ce que voyant, la bande d’énergumènes recula en jetant force projectiles . Un jeune sous-off reçut une pierre dans l’œil et fut vite conduit à l’hopital, puis les abrutis se retirèrent et on nous mit au repos ; ça grondait ferme dans les rangs, nous, les jeunes on ne disait rien, on n’osait pas, mais j’ai le souvenir d’un adjudant arborant une imposante barrette de décorations, qui, s’il n’a pas pris le colonel au col, n’en a pas été loin ….Après les évènements de Langson-Caobang les anciens avaient du mal à admettre qu’on ait « oublié » de convoquer gendarmes ou CRS de protection . Qui, avait également ‘oublié’ de prévoir la visite des socialo-communistes ? Qui l’avait favorisée ? Je peux dire qu’une fois au moins,dans ma vie, j’ai vu un groupe important de sous-officiers siffler copieusement et huer un colonel, apparemment dépassé par les évènements . Pour la décharge de cet homme, il est bon de savoir,que depuis deux mois, à Fréjus, nous étions pendus à la radio,et scandalisés qu’on évoque si peu ce drame en France, sinon pour s’en réjouir !!
16 janvier 1951-Marseille. Les militaires en capote posent dans le froid glacial devant la poupe du SKAUGUM
18 janvier 1951-Oran. Les légionnaires attendent d'embarquer sur le SKAUGUM
Nous embarquâmes de nuit, et le 17 au matin, juste avant le lever du jour, le S/S Skaugum quittait le port de Marseille.
L’absence de toute autorité pour assister à notre départ, fut très mal ressentie et largement évoquée pendant le voyage. Des civils auraient entamé une grève de protestation… les militaires, hèlas, ne sont pas syndiqués !! MAIS….Cet incroyable affront méprisant a du laisser une marque importante dans les souvenirs de mes compagnons d’aventure .Le Skaugum effectuait son premier voyage sur cette ligne d’extrème orient ; jusque-là, il était employé depuis son port d’attache de Norvège, à des circuits touristiques. Comme il n’était pas destiné à sillonner les mers chaudes,nous n’avons pas eu besoin de chauffage pendant le voyage. Le personnel de service, des civils Norvègiens, fut extraordinairement serviable avec nous : Thé au lait à 10 et à 16 heures, petits gateaux,ménage des cabines …Un voyage de rêve !! ( j’ai su que les militaires avaient pris la suite dès le second voyage et que ce fut de suite très différent )
Pour le plus grand nombre d’entre nous, ce voyage de 24 jours fut source d’émerveillement : - La mer – Oran – le canal de Suez –Port Saïd,avec un arrêt de huit heures pour aller voir une pyramide dont je n’ai gardé aucun souvenir, -Suez avec la statue de Ferdinand de Lesseps…et..Djibouti avec ses camelots en barcasses qui nous vendirent,à très bas prix, des cigarettes blondes « Craven A », la visite de Colombo avec mes deux copains : Masson- de St Dizier,et Couturier, de Nancy, les tours des fakirs,leurs serpents, d’autres merveilles et aussi cet amusant souvenir : Alors que nous étions attablés à une terrasse de café, un homme vint se faire payer les consommations, je lui donnais un billet, (des roupies,) et, dès qu’il l’a eu en mains, il se sauvait à toutes jambes et il nous fallut payer une seconde fois…pas une grosse perte, mais nous avons appris que cette pratique était fort courante : une entente entre les serveurs et leurs copains… C’est de Colombo qu’il me reste le souvenir de ma première noix de coco…Eh oui !!
24 janvier 1951-Le SKAUGUM traverse le canal de Suez
6 février 1951-Colombo. Permission à terre en chaloupe. Le SKAUGUM, amarré sur coffre s'éloigne peu à peu
Alors que nous avions quitté Marseille,en capote et crevant de froid le 17 janvier, le 6 février, à Colombo nous étions en short et chemisette, par une chaleur épouvantable et une atmosphère irrespirable—Du tout nouveau pour beaucoup d’entre nous. ! (Le 2 janvier,lors d’une descente à Marseille en groupe, pour un gueuleton de départ,nous avions trouvé la Canebière recouverte d’un épais verglas, ce qui ne doit pas être commun.)Sitôt après avoir quitté Colombo,nous retrouvions l’océan Indien avec ses importantes bandes de dauphins, qui, précèdant le navire, s’amusaient comme des petits fous….et les multitudes de poissons volants dont certains vinrent même s’échouer sur le pont du bateau …
Le 8 Février,après être passés un soir au large de Singapour illuminé, nous étions en vue de Poulo-Condore, ile minuscule,ancienne residence de forçats, affreux bagne réservé aux seuls annamites. (Cette ile devenant pendant le conflit avec le viet-minh, un centre de stockage des matériels militaires avant répartition aux corps de troupes et une bananeraie expérimentale .) –Quelques heures après cette ile, apparaissait le Cap Saint-Jacques, pointe extrème du continent Indochinois . Il faudra, nous dit alors le commandant de bord, par le haut parleur,attendre la marée montante pour entreprendre la remontée de la rivière de Saïgon, et il ajouta : surtout n’en manquez pas le spectacle. ( Tout au long du voyage le même haut- parleur diffusait les informations à heures régulières, mais aussi plein de détails sur les lieux traversés et de conseils pour visiter les sites aux escales . - Ceux qui ont déjà fait plusieurs fois ce voyage,et il y en a, disent le le scènario est le même à chaque trajet, la tradition est vivace chez nos marins… )Saïgon est à environ cent kilomètres et tous les passagers sont sur le pont bien avant le départ, et ils y resteront tout au long du voyage. Ceux,qui pour la première fois effectuent ce trajet, et Potier surtout, ouvrent grands leurs yeux et leurs oreilles car ils aperçoivent les rives et écoutent les explications qu’on leur donne pendant la remontée : Imaginez un fleuve, plus grand encore que ceux que vous avez déjà vus : 3 à 500 mètres de large et très profond, un fleuve que remonte à grande vitesse, un navire fait pour la haute mer….InouÏ … Tout le monde est là, émerveillé, pourtant il nous a été dit qu’il arrive parfois qu’un snipper fasse un carton depuis la rive sur les passagers .
Le navire remonte la rivière aussi vite qu’il est passé de nuit au large de Singapour illuminé, pas facile de voir les détails sur les rives, mais,c’est si beau et tellement nouveau !!Soudain, on aborde les faubourgs de Saïgon, le port apparaît, endroit extraordinaire : des navires marchands,des jonques, mais aussi plusieurs batiments militaires et notre immense paquebot qui avance,recule,avance et recule encore plusieurs fois avant d’être enfin ligoté aux bites d’amarrage
Ca y est donc, je suis en Indo, j’en rêvais depuis des mois, comprenez que je me souvienne si bien .
L’ aventure va donc commencer ! ! !
Sitôt débarqués, les transmetteurs dont je suis sont pris en charge et véhiculés jusqu’aux casernements du 821ème Bton de Transmissions . Le temps de s’installer au casernement et le soir les copains nous emmenaient visiter le fameux Parc à Buffles – Ah, la rue Catinat, la célèbre rue Catinat et les pousse à vélo…qui n’a pas connu celà ne connaît rien ! !
10 février 1951-Les passagers du SKAUGUM ont débarqué et attendent sur l'appontement de Saigon le début de l'aventure...
©Maurice POTIER /Philippe RAMONA 2010