D'après les souvenirs de M. GREAL du Groupe de Tranport 503 503
Mardi 25 mars 1947 Délégation d'une corvée pour aider au chargement du cargo danois Chastine Maersk qui emmènera nos camions et le matériel. . Jeudi 27 mars Installation au camp Ste Marthe dans la soirée, vu jouer les " Portes de la nuit ". Vendredi 28 mars Le grand jour… Nous partons en camion pour le port où nous embarquerons sur le Champollion. La iéme installation se fait dans des batteries avec des gars de l'aviation. Nous descendons à la salle à manger et pendant le repas, le baquet démarre à 18 h20. Et nous quittons la France ! Pour combien de temps ? Tout le monde l'ignore. Moi je ne regrette qu'une chose, la peine que ça cause à ma famille. Pour le reste c'est tellement le cirque… ! Encore en rade, le bateau prend des airs de balançoire. Il y a une bande de types de la C.C.P. (ndlr : compagnie de commandos parachutistes) qui jouent à saute mouton sur la plage arrière. Samedi 29 mars La mer est d'huile, quelques mouettes nous suivent. Il fait vraiment beau, et le pont est peuplé de toutes les races d'Asie et d'Afrique plus ou moins mélangées. Quelques femmes françaises mariées à des Chinois ! Pauvres filles ! A 11 H 30 dans les vagues qui commencent à se faire voir, le baquet poursuit sa route. Nous longeons les côtes de Corse ; le sommet d'un massif montagneux se détache harmonieux et doré, au dessus des nuages sous le soleil qui tape. Mais le littoral est gris et les sanguinaires restent sombres. Une heure après voici Bonifacio sur sa haute falaise entourée d'îlots rocheux ; de l'autre coté du détroit la Sardaigne est inondée de lumière. Pourvu que mes photos soient réussies. Pendant deux heures, les rochers défilent. Je suis allé faire un tour sur la plage avant pour voir notre bétail. C'est pas jojo. Tout le monde est vautré par terre ou sur les tables, un plat de campement ou un casque lourd à portée de la main. On ne rencontre dans les coursives que types aux traits tirés cherchant un coin tranquille pour pouvoir s'allonger sans remarquer l'ascenseur. ; J'ai regardé dans une cabine de 1 ère, et il n'y a vraiment pas grand place. J'ai vu aussi quelques jolies filles métisses et quelques trouffions qui se faisaient les yeux doux. 14 H La mer est maintenant mauvaise. C'est vraiment désagréable. Vais-je être malade ? 16 H Exercice de fuite, nous avons tous endossé nos ceintures de sauvetage et nous rendons à nos chaloupes respectives. Je n'ai vraiment pas faim ce soir. Dimanche 30 mars Les îles Lispari à tribord !! Et le Stromboli est là, sa cime se dresse au dessus des nuages. Et je ne sais pas si c'est de la fumée. Au pied du monument un village dont les gens ne doivent pas souvent dormir tranquilles. A 10 heures nous entrons dans le détroit de Messine. A droite, une station thermale, puis Messine avec son port et ses maisons neuves dominée par de hautes montagnes. De l'autre côté à bâbord, c'est Reggio de Calabre en Italie. Quel merveilleux voyage. Des mouettes nous suivent et les marsouins jouent au water polo ou à saute mouton. Lundi 31 mars : Une hirondelle frôle le bateau dans les deux sens. 12 H Nous passons au large de la Crète puis voici l'île Gaudos. Mardi 1er avril Vers 14 H, on commence à voir de l'animation dans le lointain des barques de pêcheur. 19 H Un phare. C'est Port Saïd et le Champollion entre dans " l'estuaire du canal de Suez ". A bâbord la Chastine est ancrée. Il n'y a en réalité, pas de port et de chaque bord, des villas, des hôtels, des clubs et beaucoup de lumière. Des bouffées d'air chaud arrivent du large et de l'intérieur. Ça sent les dattes et quelque chose d'indéfinissable. Le bateau a stoppé dans le centre de la ville et aussitôt une foule de marchands de pacotille s'approchent et s'affairent nous criant la valeur et la qualité de leur camelote. Pour un indigène, commercer est une chose assez facile. Il suffit d'avoir une barcasse, on la peint en blanc avec des bordures marrons, on la garnit de pacotille, dattes, rahat lokoum, 20 métres de ficelle, 2 ou 3 couffins et vogue la galère. On se range contre le bateau sous l'acheteur éventuel. Lorsque le client est d'accord et ça ne va pas sans marchandage, le vendeur lance la longue corde, fait glisser le couffin dans lequel se trouve la marchandise et le client après avoir agréé l'objet désiré paye. Invariablement c'est une victime. Et jusqu'à très tard dans la nuit le jeu se poursuit. Mercredi 2 avril J'ai été réveillé très tôt par des allées et venues sur le pont. En effet le bateau appareille à 08H30. Nous avons embarqué un vieil arabe prestidigitateur et deux matelots égyptiens qui chiquent consciencieusement leur bétel. Puis le bateau après avoir déterré entre dans le détroit et prends le canal. Des camps militaires anglais, à droite quelques chameaux. Le niveau du canal dont l'eau est presque à hauteur des rives permet d'apercevoir la campagne toute plate à bâbord vers l'Asie légèrement vallonnée et dominée de loin par de hautes collines sur la rive d'Afrique. De temps en temps le Champollion croise un sambouk dont le patron a invariablement une sale gueule. Dés que les larges marais sont franchis, quelques villages apparaissent, sur la rive, très pauvres, avec de rares cases, construites en terre, couvertes de branchages ; la route asphaltée et le chemin de fer parallèles au canal rappellent seuls dans ce désert la civilisation. De temps en temps, un poste de surveillance faisant office de gare. Confort anglais, jolies villas, jardins, pelouses de golf, palmiers et des types tout blonds et bronzés. A 5 heures nous entrons dans le lac Timsah (20 Km x 6 Km). A tribord Ismaïlia. Ciel bleu, canal bleu sables jaunes. Puis le bateau stoppe. Les Anglais ont su transformer ce coin en station balnéaire. Ski nautique, aquaplane et hors bords. J'ai pris un vrai coup de soleil sur les bras et la nuque. Le bateau est reparti, le canal est redevenu canal. Puis c'est les Lacs Amers. Les rives s'éloignent. Elles reparaissent pour reformer le canal. Dans le lointain des oasis mettent des taches vertes dans le désert. A l'horizon vers le sud se dessine peu à peu une haute chaîne de montagnes désertique autant qu'on peut s'en rendre compte, et inondée de soleil. Puis à 20 heures c'est Suez où nous entrons après avoir vu des morceaux de bateaux sur les bords. Suez : même chose Port Saïd. Une longue jetée portant le monument à la gloire de Lesseps. A 23 heures c'est le départ. Jeudi 3 avril Nous sommes maintenant au large de la côte des Somalies. Les marins du bord m'on dit qu'on pouvait voir le Sinaï. Dans le but de photographier ce truc je me suis rendu à l'arrière et évidemment je n'ai rien vu. Mais par compte, re coup de soleil et mal aux yeux. La mer rouge n'a rien de très rouge, elle tirerait plutôt sur le bleu marine. Vendredi 4 avril Le bleu persiste sur nos têtes comme à nos pieds ainsi que le vent du nord ; la mer est calme. L'allure est lente ; il fait chaud + 28°. On commence à voir les terres blanches. A 11 H :Des poissons volants, 15 H : Marsouins. 18 H 30 Un requin se traîne derrière le bateau et s'écarte enfin. Samedi 5 avril Il fait maintenant doux +45° et notre dortoir sent le métro. 12H30 Une escadre passe au large. 2 porte avions et des petites fumées. Dimanche 6 avril 7 H On m'a réveillé, moi qui dormait si bien. A tribord toujours la côte des Somalies, fertiles comme un fond de casserole, de couleur jaune orange sous le soleil qui tape comme un four. Quelques touffes de verdure, quelques boutres (Henry de Monfreid) et c'est Djibouti. 11 H Je me suis mis en tenue et jusqu'à midi j'ai mitraillé les petits plongeurs qui nagent à la recherche des pièces de monnaies qui tombent du bateau. Djibouti de loin fait bonne impression. Mais de prés c'est moche comme tout. 13 H Ballade en " ville " Les indigènes males sont excessivement minces, susceptibles et assez hargneux. Le Coran interdisant la reproduction de l'homme par l'image, dés qu'ils voient un appareil photo se tourner vers eux ils se cachent le visage avec le pan de leur pagne. Et comme ils n'ont rien en dessous, c'est assez marrant. Les arbres sont plus que rares. Maisons européennes blanches. Les maisons indigènes crasseuses. Prés du marché quelques huttes qui sont des gourbis de danseuses nues. Un peu plus loin, la halle aux poissons, aux légumes et aux fruits, à la viande. Du bruit, de la couleur et de l'odeur. Les mouches se paient des bains de soleil. Les trois inséparables de la troisième section sont entrés dans un bistrot. Commande de trois menthes à l'eau = 150 frs. Le patron du bistrot nous annonce avec le sourire que nous n'avons pas à nous plaindre car nous sommes dans la bonne saison. Qu'est ce que ça doit être quand il fait chaud !!! Maintenant +58°. Le bateau appareille à 21 H 30. Un Dankali des Danakils. Cette race peuple toute la côte des Somalies. Djibouti est grand comme un petit port de pêche français sale comme la Zone, et le port est envasé = grand port français de la Mer Rouge. En face et au large Aden. Prochaine escale Colombo. Lundi 7 avril Il fait très doux ce matin, vu une baleine à 100 m au large. Nous avons passé le Cap Gardafui. Mardi 8 avril Des poisons volants + un requin. Ce matin a eu lieu l'immersion d'un bébé mort hier. Le bateau a ralenti sa marche. Mercredi 9 avril En mer Jeudi 10 avril Encore et toujours la mer. Vendredi 11 avril La mer + 60 °. Dans la soirée quelques gouttes de pluie. Mais il fait si chaud dans les batteries que je monte coucher sur le pont. L'averse nous force à redescendre au frais. Samedi 12 avril Le temps est redevenu beau mais la mer est toujours agitée. Demain arrivé à Colombo. Les Indes !!! Dimanche 13 avril 7 H Colombo. Je suis monté sur le pont et je suis entré dans un four. En moins de deux ma chemise est trempée du col jusqu'aux fesses. On aperçoit ce matin plusieurs paquebots de différentes nationalités. Au fond derrière Ceylan. Peu de différence avec Port Sa¨d. Mêmes vendeurs ambulants qu'à Port Saïd et même tactique. La marchandise change : Objets en bois sculptés. J'ai l'impression que seuls la Forêt Noire et mon chez nous étaient les seules choses valables pour moi en Europe. Photos de tout un peu. Lundi 14 avril Le vent est au sud, le ciel est gris, la mer ardoise claire. Il fait chaud. Mardi 15 avril Quelques averses sont tombées pendant la nuit et le ciel a été lavé, la mer redevient bleue. Nous traversons le Golfe du Bengale. Mercredi 16 avril Des îlots à bâbord A tribord des îles, Le bateau entre dans le détroit de Malacca. Jeudi 18 avril Singapour Le bateau est accosté à un warf, pleins d'eau et de mazout. Nous sommes en réalité à côté d'une île et ne verrons Singapour qu'à 15 heures. Un Malais fait a police des coolies de la maison Shell. Un autre vend des noix de coco contre des cigarettes. Vendredi 19 avril Rien à signaler Samedi 20 avril 1947 Indochine Le grand jour est arrivé. Le bateau se dirige vers des hauteurs entourant un des bras du Mékong. Et c'est le Cap St Jacques à tribord, un promontoire avec un sémaphore, une anse gracieuse avec une plage encadrée de maisons, une colline avec des villas, un autre promontoire plus au nord. Au premier plan des carcasses de bateaux coulés par les avions anglais. Nous entrons maintenant dans le Dong Naï que nous allons remonter pendant quatre heures. A droite et à gauche de la verdure comme jamais je n'en ai vu. L'eau est boueuse et coule entre deux rives, chargées de palétuviers. Ces arbres vivent dans l'eau et le malheureux qui tomberait inaperçu dans le fleuve ne pourrait pas prendre pied sur les rives car il s'enliserait jusqu'à la mort. Quelques singes. Des sampans et des jonques avec l'œil traditionnel peint à la proue pour chasser les mauvais esprits. Puis on aperçoit des cases sur pilotis, des bananiers aux longues feuilles retombantes, la mince tige et le plumeau des aréquiers. De temps en temps un cocotier. Puis la verdure devient un rideau de brousse coupé par les nombreux canaux. Des rizières à perte de vue, qui s'étendent vers les quatre horizons comme une mer. Au lointain apparaissent les flèches de la cathédrale de Saigon. Et pendant encore deux heures, ces tours se dressent à droite, à gauche et jouent à cache cache avec le bateau. Puis les cargos commencent à se montrer. Le vieux Chastine. Et à midi le bateau accoste au quai des messageries maritimes. Beaucoup d'européens attendent le débarquement et les coolies montent les premiers. Et à 14 heures nous débarquons. Les sections se forment et attendent sac à terre. … Des camions arrivent et nous emmènent dans un centre de passage appelé camp Petrus ky, à côté du lycée du même nom. Le peu que nous avons vu de la ville nous permet de nous faire une opinion. C'est beau, beau, beau. Nous nous installons tant bien que mal dans des sortes de hangars. Lutte pour la ficelle des moustiquaires. Les mômes indigènes échangent des bananes contre les bonnes cigarettes anglaises achetées à Port Saïd. Aperçu des chaussures à semelle de crêpe. |
©Jean Jacques GREAL 27 novembre 2007